La fin de l’hiver, c’est la saison des prix du cinéma, oscars et César en tête. Il est sans doute bon de faire le bilan et de célébrer le meilleur de l’année cinéma écoulée mais ces cérémonies retiennent-elles vraiment le « meilleur » ? On pourrait en douter quand on voit que En Corps de Cédric Klapisch est nommé partout et Un Beau matin de Mia Hansen-Løve nulle part. Surtout, ces soirées ont été ces dernières années de plus en plus affligeantes. Aux États-Unis, c’est à chaque fois un concert de « wow !!! », « amaiiizing !!! », « fantaaaaastic !!! ». En France, entre des sketches invoquant un « esprit Canal » de plus en plus introuvable ou vermoulu, les uns comptent les noirs, les autres font des sorties théâtrales contre la pédophilie, d’autres encore dénoncent le gouvernement ou lui réclament de l’argent (dans un pays où le cinéma est largement soutenu et protégé). Chaque année, les César, c’est la prise de la Bastille en robes de grands couturiers, la Commune diffusée par Canal Bolloré (entre nous, qui est plus toxique pour le présent et l’avenir de la France : Vincent Bolloré ou Roman Polanski ?). Lassé par ces démonstrations vaguement obscènes d’entre soi et de revendications corporatistes, le public ne s’y trompe pas : les audiences TV des Césars sont en baisse constante depuis des années (à l’heure d’écrire ces lignes, on n’a pas l’audimat de 2023) alors que celles des Oscars sont en chute libre. Des deux côtés de l’Atlantique, on essaye de trouver la parade de la même manière : en faisant le Bien. Chaque académie redouble d’efforts pour être la plus inclusive, la plus féministe, la plus antiraciste, la plus LGBT friendly, la plus sociologiquement et politiquement correcte. Très bien. Et le cinéma dans tout ça ? Un accessoire sans doute dans ces soirées où il est surtout question de postures politiques et de télévision.

Pendant que les cinémas américains et français s’autocélèbrent et font le Bien, les cinéastes russes se sont exilés. Kirill Serebrennikov vit en Allemagne, Andreï Zviaguintsev à Paris. On imagine qu’ils ne sont pas prêts de retourner chez eux. De leur côté, les cinéastes iraniens vivent chez eux. Mais en taule. Aux dernières nouvelles, Jafar Panahi a été libéré : dans le monopoly ayatollien, il repasse de la case prison à la case résidence surveillée. Mohammad Rasoulof vient également d’être libéré mais fait face à d’autres charges (propagande contre l’état, insultes contre les leaders du régime, atteinte à la sécurité nationale…) où il risque 8 ans de prison. En Chine, c’est le film Le Retour des hirondelles qui a connu quelques problèmes : ce serait comique si ce n’était pas si tragique. D’abord, les autorités chinoises ont ordonné au réalisateur Li Ruijun de tourner une fin plus positive. Ensuite, le film a été présenté à Berlin, puis est sorti en Chine en juillet : succès phénoménal. Mais la censure veillait et a retiré le film des écrans le 26 septembre (après presque trois mois d’exploitation, allez comprendre). Le film fut ensuite accessible sur les plateformes : nouveau succès. Il est alors définitivement interdit et Li Ruijun assigné à résidence. Transfuge a fait une demande d’interview du cinéaste, impossible. Pourquoi cet acharnement du pouvoir chinois ? Le Retour des hirondelles montre des paysans vivant dans le dénuement alors que dans son immense sagesse, le Parti Communiste Chinois avait décrété en 2021 la fin de la pauvreté. Non mais c’est vrai, quoi, si la réalité ne se conforme pas aux mots d’ordre du PCC, où va-t-on ? En attendant, le cinéma chinois est sous étroite surveillance, le cinéma hongkongais est mort et on n’est pas prêt de voir les Wong Kar-wai, Jia Zhangke ou Tsui Hark de demain.

Sont donc nominés pour le César et l’Oscar du régime politique le plus pourri la Russie, l’Iran, la Chine et on se permet d’y adjoindre la Corée du Nord (qui n’a jamais engendré aucun film ni cinéaste notable, c’est encore plus pratique puisqu’il n’y a rien à censurer). La lutte est extrêmement serrée tellement chacun mérite le prix.