Dans Retour à Séoul, le Franco-Cambodgien Davy Chou pose la question des origines et de la double-culture. Apre et romanesque.

Pardon pour le mauvais jeu de mots mais Davy Chou est notre chouchou. Ce Franco-Cambodgien à l’allure juvénile (il a 39 ans, en paraît toujours 19) a réalisé Le Sommeil d’or (très beau docu sur le cinéma cambodgien perdu), Diamond Island (superbe teen movied’inspiration Hou Hsiao hsien), produit ou coproduit les excellents Onoda, White building, This is comedy, Judd Apatow… bref, Chou est une petite dynamo de cinéma à lui tout seul. Ces jours-ci, il sort Retour à Séoul, son deuxième long-métrage de fiction, un film moins séduisant au premier abord que Diamond Island mais plus ambitieux et plus complexe. L’histoire de Freddie, Parisienne de 25 ans d’origine coréenne, qui vient séjourner au Pays du Matin calme pour des vacances improvisées. Au départ réticente, elle se lance finalement à la recherche de ses parents biologiques. Le titre du film est au singulier mais il y aura plusieurs retours à Séoul sur une période de dix ans, durée nécessaire pour qu’une jeune femme fasse un peu la paix avec son histoire tourmentée et pour qu’un film revête une belle ampleur romanesque. 

Si Retour à Séoul paraît moins accrocheur en surface que Diamond Island, c’est parce que Davy Chou prend le pari courageux de s’attacher à un personnage revêche, complexe, pas toujours aimable. Freddie présente souvent le visage arrogant de la Parisienne branchée qui sait tout et impose son habitus en terre étrangère, méprisant un peu les mœurs et codes locaux. Quand elle drague lourdement dans un bar en violentant la réserve asiatique, jette ses amants d’un soir ou même son petit ami français venu la soutenir lors d’un de ses périples, une distance se crée entre elle et nous, entre le film et ses spectateurs. Mais si Freddie est si brute de décoffrage, c’est aussi parce qu’elle a subi une violence absolue quand elle était bébé : elle était trop petite pour s’en rendre compte ou s’en souvenir mais l’abandon, l’adoption, le déplacement vers un autre pays à 12 000 km ont sans doute imprimé son inconscient, se sont inscrits dans les tréfonds de son corps et de sa psyché. C’est ce long travail quasi-psychanalytique que donnent à voir Davy Chou et son actrice exceptionnelle Park Ji-min, avec ses épreuves (se révolter contre sa famille biologique), ses impasses (période de défonce dans les bas-fonds de Séoul), son âpreté (que Freddie porte en elle), avant d’envisager parvenir à une possible réconciliation avec ses géniteurs, avec son pays d’origine et avec elle-même. Ce voyage, le spectateur l’accomplit aussi : souvent pris à rebrousse-poil par Freddie, véritable orage humain au Pays du Matin calme, il l’accompagne dans le trajet labyrinthique de sa quête. Et s’il a fallu secouer quelques Coréens au passage, c’était le prix à payer pour qu’une jeune femme reconfigure sa liberté et reconstruise son identité, transcende son trauma originel pour se retrouver enfin en phase avec elle-même. Ce « retour à Séoul » est un retour vers soi pour l’héroïne mais sans doute aussi pour le cinéaste, et potentiellement pour chaque spectateur. S’il retourne vers la question de ses origines à travers Freddie, Davy Chou continue d’avancer en tant que cinéaste.

Retour à Séoul de Davy Chou. Avec Park Ji-min, Oh Kwang-rok…, Films du Losange. Sortie le 25 janvier

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