Au Frac Franche-Comté, une trentaine d’artistes lucifériens exhument les contours métamorphiques de Méphistophélès. 

Il exhale un parfum sublime et méphitique : voici La Beauté du Diable ! Irrésistiblement tentés – cela va sans dire – nous pénétrons dans l’exposition, prêts à rencontrer le démon, ce qui, on l’imagine, se produira inévitablement si les œuvres revêtent la force artistique espérée. L’art seul étant capable de donner un visage, ou du moins une forme, à Satan. 

Dès l’entrée, le bruit du maléfique se fait entendre : un lugubre cliquetis de clef dans le silence du corridor. Sur les murs, une cartographie glaçante se déploie : celle des églises norvégiennes incendiées par des adeptes de Black Metal, férus de slogans blasphématoires et de l’Antéchrist. La géométrie dessinée par Elodie Lesourd ressemble aux tracés des pentagrammes qui ornent les sols des lieux sacrés. Une manière peut-être de nous rappeler que nous venons de franchir le premier cercle des Enfers. La suite nous réserve un face à face plus direct avec le Malin puisque celui-ci prend forme humaine, à travers le visage insolemment banal d’un des bourreaux les plus monstrueux de l’histoire, le médecin nazi Josef Mengele. L’artiste Christine Borland s’est livrée à une quête pour le moins faustienne, en demandant à plusieurs sculpteurs de recréer les traits de cet « Ange de la mort » – c’était son surnom – à partir de témoignages de ses victimes. Nous dévisageons ainsi plusieurs potentiels faciès de l’abject personnage, cherchant dans la moiteur de l’argile les détails qui différeraient d’un masque à l’autre, tentant de deviner lequel serait le plus réaliste. En face, guettant notre funeste funambulisme, surgit le portrait des sœurs Papin, pulvérisé sur le mur à la poudre d’acier aimantée par Nicolas Daubanes, procédé original accentuant l’impression d’une présence fantomatique, comme si les deux criminelles – qui auraient inspiré Les Bonnes à Jean Genet – étaient réhabilitées. 

La force de l’art ne passe-t-elle pas par la parfaite concordance ambiguë du beau et du laid ? Les sœurs Papin font froid dans le dos mais il reste indéniable que l’œuvre est magnifique. De même pour la flamboyante gueule de requin au fusain de Robert Longo ou pour l’installation dessinée de Myriam Mechita qui décline, sur un fond rouge sang, des images rappelant les rituels sataniques. La beauté, puisqu’il faut bien employer le mot, est encore plus déroutante dans l’apparition fascinante de Piss Satan d’Andres Serrano, photographie faisant pendant à son fameux Piss Christ, effigie chrétienne plongée dans un mélange d’urine et de sang qui avait été vandalisée, car jugée blasphématoire, lors de son exposition à la collection Lambert en Avignon en 2010. La descente aux Enfers se conclut auprès d’un personnage solitaire qui, sous la forme d’un autoportrait hyperréaliste de l’artiste Hélène Delprat, contemple les infinies beautés du monde, à moins que ce soit son propre désir narcissique, avide de richesses. J’ai été en Enfer, et j’en suis revenue, je peux vous dire une chose, c’est que c’était merveilleux, titre une modeste broderie de Louise Bourgeois dans une économie de moyen aussi cynique que diablement efficace !

La Beauté du Diable, Frac Franche-Comté, jusqu’au 12 mars, frac-franche-comté.fr