Bienvenue dans le monde imaginaire d’Hans-Jörg Georgi chez Christian Berst. Où les rêves d’enfant se mêlent aux utopies des adultes…

On le voit depuis le petit passage des Gravilliers où se niche la galerie Christian Berst : tout un escadron d’avions en carton s’envole sur un fond bleu nuit tempétueux. L’image fait sourire tant elle est à la fois dérisoire et fantastique. Il y a dans cette installation suspendue tous les ingrédients du rêve, de la magie, du conte et de l’absurde. Elle nous ramène à ces avions en papier que nous nous lancions, enfants, à travers les salles de classes, mais l’application avec laquelle sont confectionnés ces aéronefs de pacotille nous évoque aussi les plus beaux voyages autour du monde, ceux des pionniers qui risquèrent leur vie au-dessus de l’Atlantique ou ceux, intergalactiques, pilotés par les droïdes de Star Wars. Car il y a ici cette esthétique émouvante du rafistolage, de la maquette rudimentaire, traduisant, dans une beauté authentique, les plus grands espoirs d’un monde meilleur. Souvenez-vous des Sentinelles de l’air, cette série anglaise des années 1960 dont les fusées et les astronautes étaient entièrement constitués de marionnettes. Et pourtant, on y croyait dur comme fer à ces superhéros. L’artiste le dit lui-même : « Je veux quelque chose de bien pour le monde, je vous emmène tous en voyage avec moi ». Hans-Jörg Georgi a plus de 70 ans aujourd’hui. Il y a 30 ans, il s’est mis à fabriquer ces vaisseaux volants avec des boîtes à chaussure, comble de l’ironie pour lui qui, enfant, fut atteint de poliomyélite, incapable donc de se mouvoir, encore moins de voler. Une soixantaine de ces bolides en carton avait déjà été exposée en 2014 à la Maison Rouge à Paris, mais c’est la première fois qu’ils sont présentés en galerie. Petits et gros porteurs dans un même élan ascendant forment une immense volute volante, dernier espoir pour échapper à un chaos imminent. Les moindres détails sont pensés jusqu’aux museaux des engins qui ont une étrange ressemblance avec des heaumes militaires. Dotés de six étages et équipés des services nécessaires à la survie, ils seraient capables de loger tout le monde. Il s’agit donc bien d’une arche de Noé comme le suggère le titre de l’exposition. Georgi a-t-il pensé à la crise écologique, aux guerres sanguinaires ? Il a en tous cas l’instinct de ces architectes de l’univers, de ces ingénieurs du progrès, de ce cinéma dystopique qui rêve d’ailleurs et d’impossible. Cette œuvre singulière est imprégnée d’une beauté candide et d’une imagination prophétique. Elon Musk n’a-t-il pas le même rêve que Georgi aujourd’hui ? L’artiste d’art brut est à la fois pleinement dans une réalité contemporaine et en dehors et c’est ce qui crée cette magie qui nous étreint. La même qui nous bouleverse devant la sélection d’œuvres que le galeriste Christian Berst a réalisée pour son autre espace, juste en face, où l’on découvre, entre autres, une magnifique sculpture en liège de Joaquim Vicens Gironella, artiste découvert par Dubuffet, à côté d’un fascinant calendrier perpétuel du jeune artiste autiste de 25 ans Julius Hartauer. Trésors bruts titre cet accrochage parfait. Il ne reste plus qu’à embarquer dans une des machines volantes de Georgi, avant la fin du monde.

Hans-Jörg Georgi, Noah’s planes. Galerie Christian Berst. Jusqu’au 22 janvier. christianberst.com