Maylis Adhémar signe un beau second roman qui tient du journalisme. Son enquête sur la réintroduction de l’ours dans les Pyrénées donne matière à une romance dans l’air du temps.

Depuis la fin du siècle dernier, la réintroduction de l’ours dans les Pyrénées a fait l’objet de virulentes polémiques qui opposent les éleveurs aux partisans de la biodiversité. L’initiative, parrainée par des vedettes du show-business, a régulièrement ravivé un conflit sous-tendu par un dilemme. La Grande Ourse, le second roman de Maylis Adhémar, en tire profit pour évoquer le déchirement intérieur de sa protagoniste, Zita Albouy, une fille au « nom de camionneuse allemande évanescente ».

Cette grande sauvageonne descend d’une des dernières familles d’éleveurs de brebis d’Ossèse, près d’Ustou, en Ariège, une vallée « farouche, féconde, presque primitive ». Agronome, « cambroussarde » et globe-trotteuse, elle a arpenté le Vietnam, l’Australie et l’Amérique du Nord au Sud, avant de revenir au bercail pour défendre la cause des bergers. Elle s’amourache de Pierrick, ingénieur aéronautique séparé de la mère de sa fille, pré-adolescente qui adore les ours.

« Pourquoi les éleveurs ne voulaient-ils pas admettre que l’ours était indissociable de l’identité pyrénéenne ? Pourquoi n’acceptaient-ils pas de cohabiter avec lui ? » se demandent les écologistes avec « l’enthousiasme béat des naïfs » (ils n’ont jamais mis les pieds en montagne) qui trouvent les autochtones arriérés et réactionnaires. Sur les estives, « nouveau sanctuaire des mascottes slovènes » (les plantigrades viennent en effet des Balkans), le pastoralisme est désormais menacé par un « superprédateur ». Les perfusions de l’État ravissent d’autant moins les bergers qu’ils sont attachés au cheptel que convoite l’Ursus arctos arctos. « Je ne suis pas contre l’ours, je suis pour la brebis », affirme Zita. Le dilemme se corse quand un braconnier assassine un spécimen de l’espèce protégée.

Si la problématique est bien posée et fait valoir les arguments politiques, économiques et écologiques des deux camps, l’idylle de Zita et de Pierrick, tissée de quiproquos et d’imbroglios et empoisonnée par la jalousie de l’ex-compagne rivale, est moins convaincante. La caricature de la marâtre hystérique s’accompagne d’un autre stéréotype contemporain, celui de la séparation comme étape indispensable de l’épanouissement féminin (plus rarement masculin) : « Émilie [l’ex en question] n’était plus banale, enfermée dans un rôle de mère et de compagne. Elle était libre. Parent à mi-temps, célibataire. » On devine que la romancière a cherché à faire entrer le drame conjugal en résonance avec celui de l’ours, mais on s’interroge sur la pertinence de ce parallèle : « Les belles-mères sont comme les filles de berger, coincées à la frontière de mondes irréconciliables. Elles sont tiraillées entre deux vies, celle qui leur ressemble et celle qui les attire. »

« Grand fauve, ancêtre tutélaire, symbole de force et de fécondité », l’ours est aussi un « roi déchu », comme l’écrivait Michel Pastoureau. « Ce n’est pas Winnie l’ourson », précise Zita qui assume sa position de prédatrice tout en éprouvant une grande compassion pour sa proie.

La Grande Ourse. Maylis Adhémar. éditions Stock. 338 p., 20,90 €