Traversé d’images indéchiffrables, ce premier film d’un poète finlandais, L’étrange histoire du coupeur de bois, s’offre comme une fable existentielle d’un genre inédit.

Connaissez-vous l’étrange histoire du coupeur de bois ? Elle en vaut la chandelle. Il était une fois Pepe, un coupeur de bois qui vivait avec sa femme et son jeune fils dans une petite ville industrielle du nord profond de la Finlande. Sous la neige, il y passait des jours heureux mais ternes à couper des rondins, à regarder la télé, à pêcher dans des lacs gelés, à rendre visite à sa mère acariâtre et parfois jouer aux cartes avec un couple de collègues. Mais, par décision arbitraire de la Providence, le fragile édifice de son existence s’écroula du jour au lendemain : la maison brûla, sa femme le trompa, sa mère mourut en déversant sur lui des horreurs de désamour et, comble du malheur, il perdit son emploi. Mais rien ni personne ne pouvaient le décourager et le coupeur de bois arpenta sans relâche les territoires sauvages de Finlande avec son jeune fils à qui il tenta de montrer comment on peut s’accrocher à nos vies absurdes en s’inventant de l’espoir. Première œuvre cinématographique d’un célèbre poète finlandais (et scénariste du fabuleux Oli Mäki en 2016), cette fable existentielle avance par successions de longues séquences en forme de strophes plastiques, de tableaux cryptés, d’énigmes comiques, d’allégories obscures sur la condition humaine. À coups de plans fixes hivernaux, de cadres raréfiés, parfois habités par quelques spectres humains laconiques (les Finlandais se définissent comme un peuple silencieux), Mikko Myllylahti fabrique des images burlesques et équivoques, indéchiffrables et tendres à la Roy Anderson et Aki Kaurismaki. Si on reconnaît là une certaine tendance distante, comique et bizarre du cinéma scandinave, il ne s’agit pas d’une simple redite. Le film pousse le grotesque et l’ahurissement dans des zones inexplorées. Myllylahti alterne des registres dissemblables, pratiquant un mélange des genres inédit comme au cours de la scène d’hypnose religieuse. Pendant une transe inquiétante, filmée sous des lumières brumeuses et désaturées, des fonds monotones, uniformément marron, un voyant tente de communiquer avec les morts en chantant une mélopée tiède. Derrière lui, l’organiste accompagne son sermon avec la frénésie d’une pianiste punk possédée. Face à eux, les ouailles filmées de face, pleurent dans des poses outrées et grimaçantes. Impossible de savoir par quels bouts saisir ce mélange de ton, de matières, de notes, de registres de jeux sinon à le ressentir plutôt qu’à l’intellectualiser. On sent la misère existentielle et le pathétique à chercher des réponses. De même, pourquoi le fils du héros court-il dans une voiture en flammes ? Est-ce une allégorie de notre destin apocalyptique ou une sensation brûlante d’apocalypse ? Myllylahti transforme les images en sensations, cherchant à ajuster sa poésie au cinéma pour interroger le mystère, le sublime et le dérisoire du vivant. Au fur et à mesure, le spectateur se retrouve dans le même état que son coupeur de bois : il regarde de façon hébétée l’univers selon les lois de Myllylahti mais il le regarde différemment, avec une innocence retrouvée. Myllylahti nous réchauffe les yeux.

L’étrange histoire du coupeur de bois de Mikko Myllylahti. Urban Distribution. Sortie le 4 janvier. Découvrez la bande annonce du film en suivant ce lien.