Sans doute une des expositions de l’année. L’immense Walter Sickert et l’éclat noir de ses peintures est au Petit Palais.

Walter Sickert (1860-1942), attentivement exposé au Petit Palais, immole le bon goût au sentiment ardent et sombre à la fois d’un esprit infatigablement chercheur. L’élève de Whistler, qui a ensuite trouvé certains des penchants et des formules de sa peinture chez Degas, a aussi mûri les leçons des néo-impressionnistes, consulté les œuvres des symbolistes, des nabis, laissé paraître sa parenté de coloris avec Bonnard, comme le rappelle, dans le beau catalogue, un texte de feue Delphine Lévy, impeccable connaisseuse de l’artiste – non sans avoir eu l’éclat d’un prodigieux soleil couchant lors de sa dernière période féconde, intrépide, irritante, pionnière, pour tout dire géniale, où photos de presse et gravures fournissent les données de ses toiles. Ce petit aperçu qui témoigne, sous le rapport de l’histoire de l’art, de l’impossibilité de ramener l’Anglais Sickert à l’exiguïté d’une nationalité, tant ses attaches avec la France furent déterminantes, comme de l’inanité qu’il y aurait à le cerner d’une définition – ce petit aperçu ne fait que traduire la nature théâtrale d’une personnalité friande de rôles (il aura fugitivement été acteur) et de son œuvre. Voyez ces scènes de music-hall ou ces « conversation pieces », drames domestiques donnant une astringence neuve à cette peinture de genre familière, culminant sans doute avec L’Affaire de Camden Town (1909) et Ennui (vers 1914). 

Dans la seconde toile, la saillie insistante d’un accessoire comme ce verre au premier plan, ce fond gris qui l’est finalement si peu d’être éclairé par le feu d’on ne sait quelle rampe, à moins qu’il ne rayonne de quelque chaleur profonde ; dans la première, cette nudité sans apprêt, grasse, allongée sur son lit de fer, rappelant que Sickert fut le grand pourfendeur anglais du nu idéalisé (on lira à ce propos l’instructif article de Lisa Tickner dans le catalogue), cette chair, ce matelas qui paraissent étrangement se résoudre en tumultueux accidents lumineux ; dans les deux, quelque chose qui résiste à l’analyse, confond le critique qui cherche le secours de l’histoire de l’art, le peintre, même, qui se trouverait devant elles, et aussi et surtout le spectateur qui se croirait au théâtre.

Quelque chose qui éblouit, déferle, soulève ; emporte immédiatement l’œil, ignore la marche pesante du cerveau à la traîne. Le rouge uniforme d’une robe, d’un chapeau (Minnie Cunningham at the Old Bedford, 1892) qui semble chercher à se dépouiller d’un voile poussiéreux, brun, flottant comme une épaisse brume terrestre. Cet autoportrait de 1929, The Servant of Abraham où quelque chose monte à la surface du visage qui remplit obliquement le cadre, affleure, pousse. Toutes ces chairs qui paraissent en voie de dissolution. Quelque chose lutte contre la matière ; se dégage de ses liens. Quoi ? Qu’importe – ce qui compte, c’est l’apothéose. Tel est peut-être le dernier mot de l’art de Sickert, art non plus de théâtre mais de loge, lorsqu’on laisse tomber le pesant costume. 

Exposition Walter Sickert. Peindre et transgresser, Petit Palais, jusqu’au 29 janvier

Catalogue Walter Sickert. Peindre et transgresser, Editions Paris Musées, 240 p., 39€