À l’Opéra  du Rhin, pour sa toute première mise en scène lyrique, le metteur en scène, marionnettiste et plasticien, Johanny Bert s’attaque à l’ultime opéra de Mozart, La Flûte enchantée. Féérique.

Sous les ors du bâtiment néoclassique, construit au tout début du XIXe siècle par l’architecte Villot, et restauré partiellement en 1888, c’est l’effervescence. Voilà plus de dix ans, que la Flûte enchantée n’a pas résonné entre ses murs. En invitant Johanny Bert, artiste marionnettiste et plasticien, à créer son premier opéra, le directeur des lieux, Alain Perroux crée un double événement. Déjà, les couloirs fourmillent. Les spectateurs venus en nombre, accrochent veste, paletot aux portemanteaux prévus à cet effet, avant de pénétrer dans la salle à l’italienne. Le brouhaha est doux à entendre. Pas un siège n’est libre, même les places debout ont été prises d’assaut. 

De la fosse, d’étranges sons discordants s’échappent. L’orchestre s’échauffe. Puis lentement, le noir se fait. Sous les applaudissements redoublés du public, le chef d’orchestre allemand, Andreas Spering, fait son entrée. Fidèle aux codes de l’opéra, il salue l’assistance, puis le premier violon. Respire un grand coup, lève une main en un geste précis. Les premières notes résonnent. Un enchaînement ascendant de trois accords, entrecoupés de courts silences, joués adagio donne le la. Strasbourg est loin. Un autre monde se matérialise. Prince aventurier, oiseleur épicurien, reine furieuse, roi vieillissant, jeune fille en détresse, sombre conseiller et serpent géant en sont les principaux habitants. Des loges d’un théâtre où tous les protagonistes se préparent aux arènes du savoir du Royaume du sage Saratastro, où le jeune et noble Tamino devra prouver sa valeur, son courage, la mise en scène ingénieuse de Johanny Bert s’ancre dans une dimension contemporaine autant que féerique. Ainsi, dans ce monde imaginaire, qui peut paraître léger et naïf au premier abord, mais qui, à y regarder de plus près, s’avère hautement philosophique et maçonnique, les génies sont des enfants espiègles portant sac à dos pour aller à l’école, La Reine de la nuit (époustouflante Svetlana Moskalenko) une « drama queen » qui n’a rien à envier à une Maillan des grands soirs – le fameux hit opératique, Der Hölle Rache kocht in meinem Herzen (La vengeance de l’Enfer bouillonne dans mon cœur) n’en est que plus fort et furieux -, Saratastro une marionnette gigantesque à la peau parcheminée, au regard clair et à la voix grave empruntée à l’incroyable basse danoise Nicolai Elsberg, Papagena, interprétée par la pétulante Élisabeth Boudreault, un lutin acrobate et facétieux.  

Tel un grand bambin à qui on aurait offert un jouet fabuleux, le metteur en scène, fondateur de la compagnie Théâtre de Romette, s’amuse des allégories, des symboliques, s’attache à mettre en exergue l’humour enfantin et ludique que renferme l’ultime opéra de Mozart. Avec l’aide complice d’Andréas Spering, Johanny Bert relève haut la main ce premier défi lyrique et signe un spectacle foisonnant, drôle et joliment déluré qui se moque avec fantaisie des codes et des préjugés. Du bel ouvrage à savourer en famille ! 

La Flûte enchantée de Wolfgang Amadeus Mozart. Direction musicale, Andreas Spering, mise en scène Johanny Bert. Du 8 au 18 décembre à l’Opéra national du Rhin, à Strasbourg. Du 5 au 8 janvier 2023 au Théâtre de la Sinne, Mulhouse.