Quelle belle surprise que ce premier film signé Charlotte Le Bon, Falcon Lake. Entre teen movies et ambiance fantastique.

On savait que Charlotte Le Bon était une talentueuse et hilarante miss météo des belles années Canal. On suivait d’un peu plus loin sa carrière de comédienne (beaucoup de films, y compris hollywoodiens, mais rien de franchement marquant), en vertu de quoi on ne s’attendait absolument pas à ce qu’elle s’affirme comme une excellente cinéaste dès son premier long métrage. Falcon Lake est franco-québecquois, dialogué en français, porté par un casting également franco-québecquois, mais ressemble (comme son titre) à un (bon) film américain par sa précision de mise en scène, ses standards de production et son mélange de genres très codés. Falcon Lake se présente comme un délicat coming of age movie sur lequel on aurait versé du sucre de comédie et de l’acide de thriller fantastique. Comme si Truffaut avait tourné L’Argent de poche au bord du Loch Ness. Bastien (12 ans) vient avec sa famille passer des vacances au Québec, dans la maison de campagne d’une amie de ses parents, elle-même mère d’une certaine Chloé (16 ans). Le chalet est isolé au milieu d’une épaisse forêt et en bordure d’un lac. Le film est ainsi posé dans un univers de conte anxiogène. Très vite se noue une relation entre Bastien qui sort à peine de l’enfance et Chloé qui aspire à sortir de l’adolescence. Au départ, Chloé n’est pas enchantée de devoir partager sa chambre avec un « gamin » et de devoir s’occuper de lui, elle qui aime fréquenter des garçons plus âgés qu’elle. La finesse de Le Bon est de ne pas définir ce qui se joue entre Bastien et Chloé : frère-sœur ? Rivaux ? Amants potentiels ? Amitié, amour, agacement, indifférence ? Toute la gamme des affects et des combinatoires y passent. Chloé n’arrête pas de dire à Bastien que le lac est hanté par des fantômes. Crime passé dans la région, fantasme de l’adolescente qui a vu trop de films, volonté d’effrayer Bastien ? Là encore, Charlotte Le Bon se garde bien de trancher, laissant ouvertes toutes les pistes possibles. La mise en scène semble même épouser l’imaginaire de Chloé avec ses paysages de forêt profonde, son lac perdu, sa maison isolée, ses nuits épaisses, ses clairs-obscurs expressionnistes, ses bruits inquiétants et ses musiques anxiogènes, comme s’il suffisait que la jeune fille parle de fantômes pour que les lieux et la mise en scène deviennent comme hantés. La menace a beau être fantôme, théorique, abstraite, elle n’en demeure pas moins prégnante. Les mots de Chloé génèrent un monde mental, sa croyance aux spectres suffit à transformer le climat ambiant, que ces spectres existent ou pas, comme si les histoires réelles ou inventées de Chloé imprégnaient la réalité environnante et contaminaient le film. On pense au Melancholia de Lars Von Trier, à la façon dont l’humeur de Kirsten Dunst semblait guider la lune fatale vers la Terre. Le teen movieet le film fantastique se rejoignent, se mélangent et se rehaussent mutuellement : plus le récit fantôme devient prégnant, plus l’ambiguité érotique monte entre les deux ados. Au contact de Chloé l’initiatrice (pourtant elle-même encore très verte), Bastien vit une série de premières fois : premières clopes, première cuite, première teufe, premiers émois, premiers jeux plus ou moins sexuels…

En mélangeant récit initiatique, comédie ado et tonalité fantastique, Charlotte Le Très Bon fait preuve d’un sens du récit, de la direction d’acteurs et de la mise en place d’une atmosphère légèrement inquiétante absolument remarquable pour un premier film. 

Falcon lake de Charlotte Le Bon. Avec Joseph Engel, Sarah Montpetit, Mona Chokri…Fr/Queb, 2022, 1h40, Tandem, sortie le 7 décembre

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