Stanislas Nordey excelle dans ce monologue où le dramaturge et metteur en scène Falk Richter interroge, à la suite du décès de son père, un passé familial douloureux sur lequel pèse la chape de plomb du non-dit.

Il a planté sa tente dans le jardin de ses parents. De la part d’un homme de cinquante ans, une telle décision a de quoi surprendre. La tente, avec un drapeau miniature fiché à son sommet, ressemble beaucoup à un tipi d’enfant. Il ne manque qu’une panoplie d’indien ou de trappeur pour compléter le tableau. De fait, Stanislas Nordey a enfilé un gilet aux manches fourrées confirmant l’apparente régression de celui à qui il prête ses traits. 

Cela est loin d’être anodin puisque le personnage en question n’est autre que Falk Richter, auteur et metteur en scène de The Silence, pièce créée début octobre au Théâtre national de Strasbourg où il aborde avec une ironie grinçante sa relation conflictuelle avec ses père et mère. Régulièrement par le biais de son double présent sur le plateau, Richter rumine sa difficulté à s’en tenir aux faits sans recourir à la fiction. Assis devant son ordinateur, les feuilles qu’il froisse l’une après l’autre s’entassent au pied de son imprimante. 

Si restituer la réalité de l’histoire familiale se révèle aussi compliqué c’est d’abord parce que ses parents eux-mêmes n’ont jamais accepté de la regarder en face. En témoigne la longue anaphore en ouverture du spectacle où Stanislas Nordey détaille d’un ton sarcastique les multiples sujets considérés comme tabou par ses parents. À commencer par le nombre de personnes tuées par son père pendant la deuxième guerre mondiale quand il était jeune soldat. Ce père qui durant neuf ans a continué de vivre avec sa première épouse en cachant sa liaison avec la mère de l’auteur dont il avait eu une fille. 

L’énumération de ces non-dits résonne comme une litanie dont l’effet accablant justifie le sentiment d’angoisse de celui qui a passé son enfance au sein de ce milieu étouffant. « Dans ma famille, on a souvent recouvert ma voix », assène Falk Richter. Et d’évoquer l’expression « to silence someone » qui en anglais signifie « réduire quelqu’un au silence ». On imagine du coup comment son théâtre est né d’une volonté de rompre ce silence. Mais plus encore à quel point en abordant avec ce spectacle la question de l’autobiographie, il s’attaque frontalement à la suite du décès de son père à cette obsession taraudante du non-dit familial.

Pas étonnant si pour explorer un sujet aussi personnel et délicat il a fait appel à Stanislas Nordey avec lequel le lie une longue complicité. Ce dernier qui a largement contribué à faire connaître son théâtre au public français a déjà été dirigé par Falk Richter en 2012, aux côtés de Laurent Sauvage et Anne Tismer, dans My Secret Garden. Outre le travail d’écriture et de mise en scène, Richter a fait le choix d’impliquer un personnage décisif dans le spectacle en demandant à sa mère d’y participer sous forme d’entretiens filmés où il l’interroge sur tout ce qui a été passé sous silence pendant tant d’années. 

Des séquences vidéos rythment ainsi la pièce comme ce travelling montrant des murs avec des graffitis de l’Afd, le parti d’extrême droite allemand, tandis que sur scène est raconté le tabassage de Falk Richter par des policiers qui lui reprochent son homosexualité. De retour chez ses parents, le père n’a que sarcasmes pour ce qu’il vient de subir. Ni lui ni la mère n’acceptent les préférences sexuelles de leur fils. La mère va jusqu’à lui confisquer son journal intime. Il se souvient qu’enfant, elle l’enfermait souvent dans un placard pour le punir. À chaque fois, il avait le sentiment d’être annihilé, comme s’il n’existait plus. 

On ressent alors comment ce spectacle en revenant sur le passé est une tentative de saisir quelque chose qui lui a échappé. Projet impossible quand la mère butée ne répond pas vraiment à ses questions. D’où le ballon d’air que constitue son recours finalement à la fiction, comme si c’était l’unique moyen de se retrouver enfin en accord avec soi-même ; serait-ce avec une touche de mélancolie et d’autodérision.

The Silence, de et par Falk Richter, avec Stanislas Nordey. du 21 octobre au 6 novembre à la MC93, Bobigny