Avec ce film admirable inspiré d’un fait divers, le réalisateur roumain sonde l’âme européenne à l’heure de la mondialisation.

R.M.N signifie I.R.M en roumain. A priori, le nouveau Mungiu se proposerait comme une radiologie de l’âme roumaine en prenant comme échantillon un bourg anonyme des Carpates à la frontière hongroise et pris sous le feu de la mondialisation, des directives européennes et de l’arrivée de migrants. Sauf que finalement, R.M.N est moins microscopique que macroscopique. Comme à son habitude, le réalisateur palmé de 4 mois, 3 semaines, 2 jours (2006) s’appuie sur un fait divers: en janvier 2020, deux cents personnes, menées par le vicaire catholique de la commune, ont manifesté contre la présence de deux Sri-Lankais ayant été embauchés par une boulangerie industrielle qui peinait à trouver des travailleurs locaux. Quelques jours plus tard, le maire organisait une réunion publique pour en discuter. À la différence de ses films précédents, Mungiu ne concentre pas son action sur un seul personnage. Quand le film s’ouvre, le spectateur est même perdu tant il en découvre de nombreux : Mathias, travailleur détaché en Allemagne qui revient au pays, son ex-femme, leur fils en plein traumatisme, sa maîtresse qui dirige la boulangerie, le vicaire etc. Mungiu fait du village un personnage dont il saisit toutes les énergies contradictoires. Des signes de modernité et de gentrification traversent ce bourg traditionnel et typique mais constitué de Roumains, de hongrois, d’Allemands et de Roms que Mungiu fait tous parler dans leur langue originelle. S’il saisit dans un premier temps ce bouillonnement de personnages, de langues, de cultures et d’éléments modernes et anciens, Mungiu se focalise ensuite sur le point de vue de Mathias, homme de l’ancien monde, hébété face au nouveau auquel il ne comprend rien. En cours de route, il bascule sur celui de sa maîtresse, laquelle regarde les évènements avec des yeux de celle qui a voyagé et étudié à l’étranger. Maître de la dialectique, Mungiu ne s’en tient pas qu’à la figuration de ces deux antagonismes irréconciliables, il reproduit ensuite la fameuse agora du village, scène extraordinaire de vingt minutes filmée en un seul plan fixe. Mungiu se refuse au montage comme au mouvement pour faire entendre toute la multiplicité des points de vue. Moins moralisateur que moraliste, Mungiu n’a que faire d’accuser les habitants. Ce qu’il cherche c’est à sonder la peur qui nourrit la xénophobie. Pour ce faire, il intercale des ellipses mystérieuses dans son récit foisonnant, multiplie les hors-champ, sature ses cadres de couleurs ternes, fabrique des images indiscernables jusqu’aux ultimes plans à la limite de l’hallucination fantastique. De cette façon, Mungiu intègre l’irrationnel et l’illogique à son réalisme pour faire ressentir les angoisses des habitants comme celles de Mathias qui ne pourra malgré lui échapper à sa peur de voir son univers s’effondrer. Avec ce film-monde, dense et complexe comme un grand roman, Mungiu utilise moins le cinéma comme un scanner que comme une boule de cristal pour tenter de comprendre toutes les composantes permettant de bâtir l’Europe de demain. Pour une fois, le terme de cinéma politique n’est pas galvaudé.

Cristian Mingiu, R.M.N, avec Marin Grigore, Judith State…, sortie le 19 octobre, Le pacte.

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