Véritable phénomène de la rentrée dernière, 7 minutes de l’italien Stefano Massini, mis en scène par Maëlle Poésy et interprété par les comédiennes du Français, entame une belle tournée sur les routes de France.

Dans un décor bleu fait d’étagères métalliques, bobines de fil, patrons en cartons, palettes, rappelant quelques salles de stockage d’une usine de textiles, dix âmes en peine tournent, virevoltent telles des lionnes en cage. Les mines sont graves, les visages fermés. Au loin un bruit de machine à tisser vrombit. Très vite, ce bruit pénible devient familier, se fond dans l’ambiance. Ouvrières chez Picard & Roche, ces femmes ont été élues déléguées du personnel. Alors que l’entreprise vient d’être rachetée par une multinationale, elles ont entre leurs mains le destin de leurs collègues, soit plus de deux cents salariées. Fébriles, attendant le retour de leur porte-parole, partie négocier, elles évoquent leur quotidien, leurs espoirs, leurs difficultés financières, la peur de perdre leur travail, de se retrouver au chômage dans une région déjà sinistrée, de ne plus pouvoir subvenir à leur besoin, nourrir leurs enfants.

Une porte claque. Des pas résonnent. Après des heures de discussion avec la direction, en sweet gris, la dégaine fatiguée, la porte-parole, incarnée intensément par Véronique Vella, apparaît. Elle est porteuse d’une nouvelle plutôt heureuse. Aucun plan social, si et seulement si, toutes acceptent une réduction du temps de pause déjeuner de 7 minutes par jour. Sur le papier, la proposition semble honnête. L’enthousiasme gagne les filles. Pourtant, la négociatrice reste sombre. Quelque chose la chiffonne. Tout est trop simple, trop facile. Elle sait bien que devant le sauvetage des emplois, il n’y a pas à ergoter. Pourtant, elle ne peut se résoudre à accepter ce deal. 7 minutes c’est rien et c’est beaucoup à la fois. Se coucher dès le premier round, n’est-ce pas capituler, perdre sa dignité ? La discussion s’envenime. Des camps se forment. Les non-dits trop longtemps retenus, les jalousies mal placées, explosent. L’atelier se transforme en champ de bataille verbal d’une violence inouïe. Entre incompréhension, sidération et tension, c’est une plongée vertigineuse dans le monde ouvrier, une analyse des comportements sociaux d’une rare lucidité qui s’offrent au spectateur. Se fondant sur une histoire vraie survenue dans une usine d’Yssingeaux en 2012, Stefano Massino signe une puissante pièce qui en dit long sur l’état de nos sociétés rongées par un capitalisme excessif, qui en oublient les hommes, pour s’intéresser trop aux chiffres. Avec un sens du rythme, ménageant habilement le suspense, Maëlle Poésy s’empare de ce thriller social et cisèle habilement un spectacle éclairant, brutal et sans concessions. Porté par sept comédiennes du français, dont les excellentes Véronique Vella, Claude Mathieu, Anna Cervinka et Françoise Gillard, et quatre jeunes comédiennes extérieures, 7 minutes est une œuvre majeure qui donne à voir le combat humaniste de onze femmes en colère.

7 minutes de Stefano Massino. Mise en scène de Maëlle Poésy. 

Théâtre Gérard Philipe, Saint-Denis, du 18 au 22 octobre, Théâtre national de Nice, Les Franciscains, du 26 au 29 octobre, Théâtre public de Montreuil, du 8 au 12 novembre.