Remarquablement éclectique, auteur de quelques sublimes peintures, André Devambez mérite d’être apprécié à sa juste valeur. C’est chose faite au Petit Palais.
Je suis sorti de l’exposition du Petit Palais en proie à un puissant attrait qui, loin de s’étioler, persiste et croît avec vigueur, mais résiste à une explication immédiate. D’où, aussi, ma perplexité. L’exposition a tous les mérites qu’on est en droit d’attendre du lieu : attentive, scrupuleuse, enlevée, elle invoque une vaste production pour plaider, avec succès, la réadmission dans une histoire de l’art à la mémoire souvent lacunaire d’André Devambez (1867-1944). La clef s’y trouve donc ; recherchons-là ensemble si vous le voulez bien.
André Devambez, et le riche catalogue ne se fait pas faute de le rappeler, s’est essayé dans tous les registres avec, la plupart du temps, un enviable bonheur. Voici les fameux (Devambez en son temps a goûté assez largement aux fruits de la reconnaissance) « Tout-Petits », qui sont à la peinture de chevalet ce que la miniature est à la pleine page, égrenant une variété de scènes, trahissant volontiers un héritage atmosphérique hollandais ; mais voici la criblure humaine, le pointillisme de la foule, grains humains vus du deuxième étage de la tour Eiffel, à l’occasion de l’Exposition de 1937, grande toile rigoureuse comme un théorème, animée comme un reportage sur le vif. Ailleurs, ces extraordinaires Grandes Manœuvres aériennes. La défense de la voie ferrée, de 1911 : jaunes assombris, verts élimés des parcelles de terrain vues d’en haut, et les ailes et les fuselages des grands oiseaux blancs de la modernité. Plus loin, c’est son Reniement de saint Pierre, beau morceau d’exécution, presque indatable dans l’histoire de la peinture, tant il est virtuosement révérencieux envers la tradition, et qui lui valut, en 1890, les lauriers du prix de Rome, plus loin encore ses illustrations (terreur toporo-redonienne pour les oubliés André Couvreur et Claude Farrère, chamarrures byzantines pour ce tableau tiré de Swift), ses dessins humoristiques, ses scènes de la vie parisienne, métro ou spectacle, et puis, avec ces accrocs dans la trame des pavés au premier plan et les ombres liquides un Paris sous la Commune ; l’appel, de 1906, ou encore la note poignante et austère du hiératisme des femmes de douleurs du triptyque consacré à la Grande Guerre (Devambez y fut blessé), La Pensée aux absents… J’en oublie.
Des traits formels s’accusent certes : le cadrage en surplomb, la docilité expressive des compositions aux mouvements de foules… Mais pareils partis pris plastiques ne caractérisent pas suffisamment l’esprit qui les applique, et la technique, toujours impeccable, ne dit rien. Ces mille sujets qui demandent l’attention du pinceau d’André Devambez, toutefois, n’aboutissent-ils pas, par une voie symétrique et entièrement opposée, à ce qu’Eugène Fromentin observait dans l’art hollandais : « l’absence totale de ce que nous appelons aujourd’hui un sujet » ? Voilà par où l’œuvre d’André Devambez nous touche tant : elle affronte directement le néant le plus glaçant, celui de l’Histoire, qui brasse tout, indistinctement, indifféremment.
Exposition André Devambez. Vertiges de l’imagination, Petit Palais, jusqu’au 31 décembre
Catalogue André Devambez (1867-1944). Vertiges de l’imagination, Sous la direction de Laurent Houssais, Guillaume Kazerouni, Catherine Méneux, Maïté Metz avec la collaboration de Michel Ménégoz, 366 p., 49€, Paris Musées