Avec Les Harkis, Philippe Faucon réalise un grand film sur les soldats algériens qui se battirent pour la France et que tout le monde voudrait oublier. Sans jugements ni concessions.
Film court – 88 minutes – sur une guerre longue – plus de huit ans, titre générique et fort de l’être pour un conflit qui fut souvent qualifié de « guerre sans nom », Les Harkis de Philippe Faucon s’impose peut-être comme son chef-d’œuvre. Des dates suivies de scènes sans fioritures, d’une épure implacable, dressent l’itinéraire de quelques paysans algériens, engagés aux côtés de la France pour de multiples raisons où le nationalisme et la politique ont finalement peu de place. Monde agraire vivant au jour le jour, ses membres vont où ils peuvent, et où les circonstances et les besoins les mènent, quand ils ne sont pas engagés malgré eux. Leurs familles deviennent les parias du village à mesure que les horreurs s’accumulent, et que le FLN s’impose. Quand à ceux de ce FLN qu’on capture, qu’on torture et qu’on retourne, ils deviennent les plus implacables ennemis de leurs anciens compagnons de résistance à l’occupation française. Quelle est la place du cinéma de fiction dans cette histoire est une question implicite à chaque plan. La sobriété de la direction d’acteur, les plans au ras du sol et du ciel d’Algérie, l’humilité qui consiste à limiter les scènes de combats pour se concentrer sur le « presque rien » comme écrivait Jankélévitch – l’ennui, les discussions où se créent autant de complicité que de fossés -, distillent une forme d’œuvre éthique sur une période saturée de ses blessures, rendant souvent son évocation irrespirable pour tous les camps, même aujourd’hui. Soixante ans après la fin de ce conflit, presque cinquante ans après la loi sur le regroupement familial qui vit un grand nombre d’algériens s’installer en France à la stupéfaction des harkis et des pieds noirs, ce film devrait être projeté dans les collèges et les lycées. Il n’accuse personne en particulier, n’épargne aucun coupable, ne prend le parti d’aucun protagoniste, ne cache pas la torture, ne cache pas le mépris raciste d’un officier ni l’amour désespéré d’un autre pour ses troupes, ses harkis. Des hommes contre d’autres hommes, des choix qui se révèlent tragiques, des trahisons, la vie, la guerre. Et l’ellipse visuelle à la fin, sur les massacres d’Oran qu’on ne verra pas, mais que l’on entend si près des gens se cachant, juste derrière une porte donnant sur une rue en fureur de son indépendance retrouvée – on n’a pas vu ça depuis Le Fils de Saul, qui prenait à la lettre l’injonction selon laquelle il est impossible de montrer la Shoah en floutant l’environnement du camp pour se concentrer sur les seuls visages, mais qui a fait entendre le vrombissement abominable des chambres à gaz et les cris à l’intérieur. Évidemment, la biographie de Philippe Faucon est intimement liée à son sujet, mais cela ne suffit pas à expliquer la beauté des Harkis, un modèle de cinéma historique. Il y faut le croisement de la passion vigilante, méticuleuse pour ce sujet et de celle du cinéma, une double appartenance qui ne met pas l’un au service de l’autre, quel qu’il soit. À l’heure d’un cinéma français qui, de plus en plus, biberonne vite fait ses scénarios à des idéologies comme le féminisme, l’écologie ou le décolonialisme, la rigueur des Harkis, fruit d’une évidente maturation, est franchement salutaire.
Philippe Faucon, Les Harkis, avec Théo Cholbi, Mohamed El Amine Mouffok… Pyramide distribution, sortie le 12 octobre
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