À l’Opéra Comique se joue Lakmé de Léo Delibes, une réussite servie par la très grande Sabine Devieilhe.

Peu d’opéra connurent un succès aussi instantané que Lakmé. Dès sa création à l’Opéra-Comique en 1883, l’œuvre de Léo Delibes allait faire le tour du monde, tout en devenant l’un des piliers de la salle Favart ; elle y dépasse aujourd’hui les 1600 représentations ! 

Œuvre bien de son temps, dont le livret -simpliste mais bien troussé- mêle orientalisme à la parisienne et légère anglophobie, Lakmé est un authentique bijou musical. Le génie mélodique de Léo Delibes y est à son apogée, sublimé par une orchestration savante, discrète et d’un grand raffinement. Souvent phagocytée par ses quelques tubes (le duo des fleurs, l’air des clochettes…) Lakmé c’est beaucoup plus que Lakmé, et l’œuvre doit être prise dans son ensemble, comme un joyau de l’art lyrique français, à l’efficacité jamais épuisée.

La nouvelle production que Laurent Pelly propose sur la scène où Lakmé a vu le jour tourne le dos à la tradition. Ici, pas de couleurs chamarrées, pas de frisson hindou, pas de sylve dévorante. L’orient n’est présent que sous la forme d’un dépouillement presque nippon, qui lorgne vers le théâtre Nô. Option séduisante, avec de superbes images (un théâtre d’ombre durant l’air des clochettes), mais qui n’est pas sans désincarner le récit, créant parfois une distance avec les personnages et l’intrigue elle-même.

Dans la fosse, Raphaël Pichon prend l’œuvre à bras-le-corps avec une passion contagieuse, insufflant à son orchestre Pygmalion une puissance parfois intimidante. Rarement on aura entendu une Lakmé si rude, dépouillé de toute fioriture et pourtant un constant souci du détail, une écoute de chaque instant. L’auditeur hédoniste pourra regretter çà et là un manque de sensualité, de rondeur (on n’ose écrire de séduction facile) mais Pichon et ses instruments d’époque fouettent Delibes, nous le dépoussièrent de ses oripeaux, créant un pont pré-Debussyste avec la génération à venir. Il n’est qu’à voir le travail des chœurs, qui sont spectaculaires ! 

Mais Lakmé ne serait rien sans son héroïne et Sabine Devieilhe reste, à ce jour, la seule chanteuse à pouvoir affronter la difficulté de ce rôle sans jamais abdiquer la justesse psychologique et la complexité du phrasé. De la vestale hindoue elle épuise chaque facette, et l’on ne sait plus quoi admirer : la virtuosité, la délicatesse, la rage contenue, jusqu’à la modestie d’une artiste qui s’efface derrière son rôle pour mieux le sublimer. Lors du très attendu « duo des fleurs », son timbre se mêle à celui, ample et séduisant, de la mezzo Ambroisine Bré. 

L’ensemble du plateau fait vraiment corps autour de son héroïne, galvanisé par la baguette coruscante du jeune maestro Pichon. La palme est remportée par l’extraordinaire Nilakantha de Stéphane Degout. Une fois de plus, le baryton français prouve qu’il est à l’aise dans tous les répertoires, et il confère au brahmane une aura intimidante, à la puissance (vocale et scénique) presque wagnérienne. 

Tant de bonheur musical n’en est que plus voilé lorsqu’il nous faut aborder le cas de Gérald. Le personnage du colon anglais amoureux de la belle Lakmé, au mépris des traditions vernaculaires, exige un ténor lyrique au timbre de miel. Alain Vanzo en fut longtemps l’interprète idéal. Las, Frédéric Antoun ne parvient pas à retrouver la candeur vocale de ce rôle ; il force le trait, met souvent en péril l’émission et la justesse de son timbre, là on voudrait naturel et simplicité. Cette erreur de casting est d’autant plus dommage que l’ensemble de la distribution, jusqu’aux plus petits rôles, brille par sa cohérence et son homogénéité.  

Lakmé, de Léo Delibes, direction musicale Raphaël Pichon, Opéra Comique, jusqu’au 8 octobre.