Un trio amoureux, une maison, une pulsion de meurtre : sur ce canevas hollywoodien, Jean-Paul Civeyrac signe Une Femme de notre temps, un beau thriller hitchcocko-chabrolien avec Sophie Marceau en majesté.

Cela fait vingt-cinq ans que Jean-Paul Civeyrac égrène ses films (et parfois les livres, comme le sublime Rose pourquoi) en une rivière de bijoux raffinés et précieux, pour le plaisir intense de quelques aficionados dont votre serviteur. Cinéaste cinéphile, il a abordé divers genres (le fantastique, le mélo, le roman d’apprentissage…) avec des actrices et acteurs aussi superbes et jeunes que peu connus et non bankables (à l’exception de Jeanne Balibar et Bulle Ogier dans Toutes ces belles promesses). Avec Une Femme de notre temps (pas terrible, ce titre, malgré l’écho de la belle et défunte émission « Cinéma de notre temps »), il aborde un nouveau genre dans sa filmo et tente un pari. Le nouveau genre, c’est le thriller intimiste qui mélange un trio amoureux et une vaste maison, dans lequel se sont illustrés Hitchcock, Verhoeven ou Fincher sur le versant hollywoodien, Chabrol ou Ozon côté français. Le pari, c’est de tenter d’accéder à un plus large public par l’entremise du casting : pour la première fois, Civeyrac dirige une superstar en la personne de Sophie « la boum » Marceau. « Vic » est ici Julianne, commissaire de police d’une grande rectitude, et par ailleurs écrivaine connue qui tente d’écrire un livre sur sa sœur récemment décédée. Par petites touches (un regard inquiet, un arbre malade…), la mise en scène de Civeyrac nous fait sentir que quelque chose cloche dans ce tableau bourgeois. Et de fait, Juliane découvre que son mari aimé la trompe. Le canevas est archi-classique, mais Civeyrac le modernise, ne serait-ce qu’en changeant les rôles homme-femme : Une Femme de notre temps, ce serait un peu une version inversée de La Femme infidèle de Chabrol. Ici, c’est la femme qui agit, qui est au centre de la fiction, qui a une position professionnelle et sociale élevée, tandis que le mari est à l’arrière-plan. La mise en scène de Civeyrac est également classique, mais son élégance capiteuse, sa volupté ne sont-elles pas singulières au temps des montages sous speed et du glacis numérique ? Le cinéaste a aussi ce talent de subvertir un matériau classique par un seul détail : Julianne pratique le tir à l’arc, et c’est sanglée dans cette arme blanche qu’elle s’en va régler ses comptes amoureux. L’arc, c’est Diane chasseresse et ses échos de mythologie et de tragédie grecque, mais c’est aussi l’arme de Cupidon et du coup de foudre, retournée ici contre les traîtres de l’Amour. L’arc, c’est encore lisible comme le symbole de la droiture de Julianne, flèche morale brisée en pleine trajectoire et c’est enfin une étrange virgule westernienne dans ce drame intimiste situé en territoire familier, comme si Geronimo surgissait au détour d’un plan de Rebecca.

Julianne rejoint les splendides personnages féminins de la galaxie Civeyrac : une représentante de la loi qui franchit le seuil de la légalité, une femme de raison soudainement mue par la passion mais dont la droiture la conduira à assumer toutes les conséquences de ses actes. Julianne et ce film nous disent qu’en matière d’amour, les lignes de la loi et de la morale se tordent et se brouillent parfois en une zone qui prend toutes les nuances de gris : salutaire rappel en nos temps manichéens.

Une Femme de notre temps de Jean-Paul Civeyrac. Avec Sophie Marceau, Johan Heldenbergh, Cristina Flutur, Rezo Films, sortie le 5 octobre

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