Un étrange congrès de rêveurs, une performance sur fond de soleil couchant, une évocation sensuelle de l’espace et de la peau, une plongée abyssale dans les fonds marins… Jusqu’au 9 octobre, la nouvelle édition du festival marseillais recèle son lot d’heureuses surprises à cheval entre théâtre, danse, littérature et performance. Reportage.
Au milieu du public assis en cercle dans une salle du Mucem à Marseille, un homme prend la parole. Il raconte comment, « happé » par son monde imaginaire, s’adapter à la vie de tous les jours est devenu pour lui de plus en plus difficile. À sa suite, une femme évoque ses pérégrinations dans un univers parallèle où, protégée par une lumière blanche qui lui donne de la force et dotée de super pouvoirs, elle « contrôle tout ». Un troisième explique comment dans son monde imaginaire il est un personnage célèbre qui donne des interviews. D’autres interviennent bientôt dans la même veine où le rêve éveillé prend le pas sur la réalité. En découvrant Wild Minds, création de Marcus Lindeen, on a d’abord le sentiment de participer à une séance de thérapie de groupe ou à une réunion d’alcooliques anonymes. Il s’agit en réalité de « rêveurs compulsifs », un trouble psychologique consistant à tourner le dos à la vie ordinaire pour s’évader dans des mondes imaginaires.
Le fait que ces accros au rêve soient assis au milieu du public induit un puissant effet de proximité. En les écoutant se raconter et dialoguer les uns avec les autres, même si on ne partage pas leur histoire on se dit qu’on pourrait être l’un d’eux. Ce spectacle aussi intrigant qu’hypnotique présenté dans le cadre du festival Actoral est un des volets de La Trilogie des identités conçue par Marcus Lindeen à partir de témoignages interprétés par des comédiens. Orlando et Mikael et L’Aventure invisible, les deux autres pans de ce triptyque, sont à voir à La Criée – l’ensemble étant repris en octobre au théâtre de Gennevilliers dans le cadre du festival d’Automne.
Se confronter à l’étrange, à des expériences artistiques et humaines singulières qui questionnent notre rapport au monde et à la représentation n’est pas le moindre mérite d’Actoral. Succédant à cette incursion troublante de l’autre côté du réel, on pouvait aussi, en ce premier week-end du festival, voir en plein air, sur fond de soleil déclinant au-dessus de la mer, Pierra Bellato et Juan Loriente dans Amore Mio, Pièce distinguée n°55 de La Ribot. Une performance érotique à la fois ironique et intense où un homme et une femme pressés l’un contre l’autre se badigeonnent et se roulent dans de la peinture blanche non sans exultation jubilatoire. Dans un registre fort différent, c’est à une approche minimaliste de la danse que conviait la chorégraphe et interprète Yasmine Hugonnet avec La Peau de l’espace. Seule en scène, les bruits de sa respiration amplifiés par un dispositif sonore, elle évolue sur la piste tout en s’interrogeant sur les miracles minuscules que produit toute présence active ou passive dans un volume d’air. Une performance délicate et sensuelle où les rapports entre le corps et son environnement semblent s’inverser rappelant par moments certaines réflexions de Bachelard sur la poétique de l’espace.
Toujours en relation avec Actoral, où l’on pouvait les voir après leur passage une semaine plus tôt à l’Espace Cardin à Paris, Silke Huysmans et Hannes Dereere présentaient Out of the Blue. Restituant la confrontation de trois navires en plein Océan Pacifique, cette création nous plonge au fond des mers pour alerter sur les dangers que font courir à la planète les forages en eaux profondes. La technologie n’en est qu’à ses balbutiements, et les fonds marins sont encore largement inexplorés, mais la possibilité d’en extraire toutes sortes de minerais et autres énergies fossiles risque d’en faire un nouvel eldorado avec les ravages que cela suppose sur le plan écologique.
La Trilogie des identités :
Orlando et Mikael, de et par Marcus Lindeen du 6 au 17 octobre au théâtre de Gennevilliers
Wild Minds, de et par Marcus Lindeen, du 6 au 16 octobre au théâtre de Gennevilliers
L’Aventure invisible, de et par Marcus Lindeen, du 8 au 17 octobre au théâtre de Gennevilliers
Dans le cadre du Festival d’Automne.