Thierry Jousse enchante son lecteur fatigué de la rentrée littéraire avec un dictionnaire décisif sur la musique au cinéma.

C’est l’un des meilleurs livres de la rentrée littéraire d’automne 2022, sauf qu’il ne sera sans doute pas perçu ainsi par les jurys, et c’est un immense dommage. Thierry Jousse a donc composé un Dictionnaire enchanté de la musique au cinéma qui se lit comme un recueil de nouvelles autobiographiques, une série de rencontres avec des gens passionnants, une galerie de portraits évoquant des histoires d’amour avec leur art. On se retrouve ainsi devant quelque chose d’intime, un objet littéraire et non universitaire parce qu’il est intime – ne dit-il pas qu’il « faudrait un roman pour rendre compte de l’ampleur et de la beauté de l’œuvre de John Barry » ? Les entrées ne concernent pas seulement des compositeurs, mais des réalisateurs, des films, des chanteurs, des artistes pop. Façonné, filtré par des années d’écoutes et de visionnages de films, ce dictionnaire est hautement subjectif et informatif, en ceci que la précision débouche sur la rêverie, et le goût l’emporte toujours sur le consensus. Alors le débat s’engage, très vite. On peut ne pas être d’accord avec l’auteur sur Louis Malle et son Ascenseur pour l’échafaud, et être heureux de le lire, heureux de se retrouver face au mémorialiste des sons qu’on a aimés dès qu’on les a entendus – Assault on precinct 13 par exemple, d’autres qu’on a oubliés, d’autres dont on ignorait qui les avait créés. Et puis, quand il affirme que Bardot est d’abord musicale, on est tellement d’accord, on s’enthousiasme – Godard vient de mourir au moment où je recense Thierry Jousse, et immédiatement, Bardot réapparaît, sa voix et son jeu. Les récits se suivent, concentrés sur leur sujet, mais comme il s’agit de cinéma, que les collaborations l’emportent, les personnages se multiplient, la narration s’affouille dans un merveilleux labyrinthe fait d’imbrication, de bifurcation, de retrouvailles d’un nom à l’autre. Il y a des variations : à l’incipit de l’article Cassavetes – « Si John Cassavetes n’avait réalisé que Shadows, il aurait déjà sa place dans ce dictionnaire » -, répond celui sur Davis – « N’aurait-il composé et interprété que la musique d’Ascenseur pour l’échafaud, la place de Miles Davis serait déjà assurée dans cet ouvrage » -, clin d’œil justifié parce que la BO de Mingus pour Shadows et celle de Davis pour le film de Louis Malle ont été faites au même moment, qu’elles sont des improvisations, et que Davis fut pressenti par Cassavetes, bref, que tout se noue, ricoche, que tout le monde pourrait connaître tout le monde, se croiser, dans une société idéalement construite sur la disponibilité, donc également sur le cinéma. C’est un dictionnaire qui se lit d’un trait, de façon linéaire, un authentique page turner, et on y revient, on feuillette, il y a tellement de détails qui sont le propre de l’enchantement, comme ces ailes ocellées recherchées par le lépidoptériste Vladimir Nabokov. Le livre s’arrête à F. Prochain volume, lettre G, Godard vient de mourir, et on a hâte de lire la suite du Dictionnaire enchanté de la musique au cinéma.

Dictionnaire enchanté de la musique au cinéma. Volume I, A-F. Thierry Jousse

Marest Editeur, 247 p., 22 €