Michel Schneider, qui vient de nous quitter le 21 juillet, était un écrivain et psychanalyste, amoureux fou de Marilyn Monroe. Après avoir exploré comme nul autre les étroites relations entre l’actrice et son psychanalyste, le docteur Greenson, dans son magnifique Marilyn, dernières séances, il lui consacre un nouveau livre et saluait celle qui « n’a pas eu le temps d’être défaite par le temps. Juste marquée, froissée par sa main. »
Cela fait 60 ans déjà qu’elle n’est plus et pourtant elle continue d’habiter la mémoire collective, de hanter l’imaginaire de chacun et de tapisser les murs de nombreux cafés, restaurants, hôtels, musées. Norma Jean Baker devenue Marilyn Monroe, n’est plus à présenter, son enfance d’orphelinats en familles d’accueils, les violences physiques subies, la folie de sa mère, le père inconnu dont le rôle est attribué à Clark Gable, le mariage trop jeune avec un marin pour fuir tout ça et qui se solde par un furtif divorce, les photos nues pour un calendrier puis la gloire comme ça, sans crier gare : des Marx Brothers à Joseph L. Mankiewicz, de Fritz Lang à Billy Wilder, de Howard Hawks à John Huston ou George Cukor, Marilyn devient une star, accumule mariages et liaisons célèbres (Joe Di Maggio, Arthur Miller, John Fitzgerald Kennedy ou Frank Sinatra et sa bande). Mais les étoiles brillent plus fort dans le noir et de contrats rompus en fausses couches, de barbituriques en cortèges de dépressions, elle se suicide le 4 août 1962 dans sa petite maison de Brentwood, Los Angeles, à l’âge de trente-six ans, et sa mort nourrit bien des fantasmes. Tout semble avoir été écrit sur elle, Marilyn est un mythe vampirisé à souhait, nombre d’écrivains ont glosé à son sujet, depuis les Mémoires imaginaires de Norman Mailer en passant par le scénario des Misfits de son dramaturge de mari, Arthur Miller, ou, plus tard, l’indétrônable Blonde de Joyce Carol Oates (Stock, avec la sortie prochaine de l’adaptation d’Andrew Dominic), sans oublier le fabuleux Marilyn, dernières séances de Michel Schneider (Grasset) — dont le nouvel opus sur les amours de Marilyn doit paraître en octobre. On aurait pu s’arrêter là, surtout que ses propres écrits, poèmes et carnets intimes viennent d’être réédités, anniversaire oblige, sous le titre Fragments (Seuil) accompagnés d’une belle préface signée Antonio Tabucchi, mais la moisson Marilyn se poursuit avec au moins trois nouveaux livres : tout d’abord celui de son ami, le poète Norman Rosten, qui se penche sur les dernières années de celle qui pouvait en soirée, à Greenwich Village, donner son nom d’une petite voix sans que personne n’y croit, celle qui épouse Arthur Miller en espérant toucher le bonheur et la douceur d’un foyer alors qu’il s’effrite aussitôt en main (Marilyn, ombre et lumière de Norman Rosten, Seghers). Un portrait rare, intime, subjectif de l’ami poète auquel elle ose dévoiler ses propres écrits. Loin des clichés, Rosten révèle une Marilyn généreuse et cruelle, qui sait rendre les coups lorsque les blessures se font cuisantes. La démarche d’Anne Savelli est tout autre, au plus près des clichés, mais des clichés photographiques, elle s’empare de l’icône — au sens étymologique — dans son stimulant Musée Marilyn (Inculte). Marilyn vue par ses photographes (de Milton Greene à Eve Arnold, de André de Dienes à Bert Stern) retrouve son caractère énigmatique de blonde totalement dévolue à la lumière et aux plateaux. Savelli chemine dans les coulisses d’Hollywood : un régal. Enfin, la canadienne Anne Carson récupère le mythe en faisant de sa Norma Jeane Baker de Troie une nouvelle Hélène déguisée en arnaqueuse à la beauté destructrice, reine d’Hollywood et de Sparte (L’Arche). Pendant qu’en séance photo, Isabelle Adjani perruquée de platine s’adonne au Vertige Marilyn, monologuant en brune sur les planches. Aucune autre actrice n’a donné autant à la littérature et la littérature le lui rend bien.
Norma Jeane Baker de Troie de Anne Carson (L’Arche, trad. E. Louis, janvier 2021)
Fragments de Marilyn Monroe (Points Seuil, trad. Tiphaine Samoyault, 15 avril 2022)
Marilyn, ombre et lumière de Norman Rosten (Seghers, trad. François Guérif, 7 avril 2022)
Musée Marilyn de Anne Savelli (Inculte, 20 août 2022)
Marilyn Monroe, les amours de sa vie de Michel Schneider (NAMI, à paraître le 11 octobre
2022)
Le Vertige Marilyn au théâtre de l’Atelier avec Isabelle Adjani, mise en scène et texte de
Olivier Steiner, installation et scénographie Emmanuel Lagarrigue.