Carlotta ressort en version restaurée Accatone et Mamma Roma pour notre plus grand plaisir. Et La Rochelle proposera un cycle intégral du réalisateur le plus sulfureux du cinéma italien.

Pour fêter les cent ans de la naissance du cinéaste et poète italien Pier Paolo Pasolini, l’hommage qui lui est rendu au festival de La Rochelle (FEMA) s’accompagne d’une restauration de ses tout premiers films par Carlotta. Dès Accattone (1961) et Mamma Roma (1962), le cinéma de Pasolini confine déjà au mystère chrétien, puisant son inspiration dans les mythes fondateurs. Alors même qu’il s’affranchit du néo-réalisme italien pour donner sa note, poétique et tragique, le cinéaste offre deux oraisons funèbres à la gloire des déshérités, des miséreux avides et brutaux. Debout, les damnés de la terre et de la faim. Placés sous le signe de Jean-Sébastien Bach, dans le regard fixe d’un Christ moderne, le profane et le sacré se mélangent dans Accattone. Dante et son Enfersont conviés au banquet dès le générique — une prostituée le cite, plus tard, dans le texte : « Quittez toute espérance, vous qui entrez » — la mort et la violence règnent en maîtres. Accattone (Franco Citti), voleur et maquereau, vit sur le dos de Maddalena (Silvana Corsini) jusqu’à ce que celle-ci soit emprisonnée pour faux témoignage. La faim et les coups pour seuls bagages, les hommes de la rue butent contre une idée fixe : les femmes sont toutes des putains. Accattone découvre en Stella (Franca Pasut) une autre facette de la gent féminine, tombe amoureux et se voit vite encombré par cet amour. La tentation du vide l’habite, du haut d’un pont ou dans le sable, il recouvre ses crimes, songeur. Et la mort attend son heure. Franco Citti irradie dans le rôle, ses yeux, bientôt crevés dans Œdipe Roi (1967), nous transpercent. Du péché dans les jupes d’une Marie-Madeleine boîteuse à la rédemption dans celles d’une étoile tombée du ciel, Accattone trouve sa voie. « Finis les temps héroïques ». Mamma Roma, lui, s’ouvre sur les noces de Carmine (Franco Citti), souteneur du personnage éponyme (Anna Magnani). Cette nouvelle Cène triviale, au milieu des porcs, se révèle aussi crue et terrifiante que la version buñuelienne dans Viridiana (1961). Pour le communiste Pasolini, les putes sont des saintes, à l’image de la Vierge Marie. Au son d’un concerto de Vivaldi, Mamma Roma poursuit son chemin de croix jalonné d’obstacles, tentant d’élever son fils, Ettore (Ettore Garofolo), loin des tribulations de sa vie passée. Mais régulièrement, son souteneur revient la coucher sur le pavé. Debout les damnées de la terre, debout les filles affamées. Le cinéaste filme ces trajectoires condamnées en de lents mouvements de caméra qui tendent au sublime. Malade et éprouvé par la révélation du métier maternel, Ettore dévie du chemin tracé par Mamma Roma. Et finit crucifié. La passion de la mère mène tout droit sur un Golgotha désert et plat, un terrain vague devant des immeubles blancs dans le quartier misérable de Cacafumo. Anna Magnani est magistrale en figure sacrificielle prête à tout pour sauver son fils et passe du rire aux larmes en un clignement de paupières. Sisyphe féminin, elle pousse son rocher avec une énergie vitale hors du commun. Pasolini, dans un noir et blanc éblouissant, nous annonce la couleur dès ses deux premiers films : vous qui entrez dans son univers, abandonnez tout espoir de salut. Dieu est mort, pleurez, frères et sœurs, vous n’avez plus de Père.

5Oeme édition du Festival de La Rochelle cinéma (FEMA), Rétrospective intégrale Pier Paolo Pasolini, du 1er au 10 juillet 2022.

Carlotta Films Accattone (1961) et Mamma Roma (1962) de Pasolini, sortie le 6 juillet au cinéma en version restaurée 4k.