Tenues abracadabresques et arbres complices pour un rite performatif et une œuvre à 120 mains : Marion Carriau/Magda Kachouche et Joanne Leighton sur des chemins buissonniers chorégraphiques. C’est la magie du festival de danse June Events. 

Fouiller le sol du Bois de Vincennes, même en bordure, la nuit, a de quoi sortir le spectateur de son urbanisme parisien. La forêt joue de sa magie, même si le son des voitures et d’éventuelles fêtes foraines se mêlent au chant des deux performeuses de Chêne centenaire, même si on ne sait si les cris d’oiseau font partie de la bande son ou non. Car l’espace de jeu semble se perdre dans la nuit sans confins. Quelque part ça crépite tel un lointain feu d’artifice, mais il pourrait aussi bien s’agir d’éléments sonores prévus par les artistes. On ne le sait pas, et c’est bien. Tout spectacle en extérieur doit composer avec les sons de la vie environnante. C’est normal. Sauf qu’à la nuit tombée, tout est incertain. Les branches vaguement éclairées se mettent à bouger, mais quand le chant se tait, le mouvement des arbres se calme aussi. Le vent disperse la poussière qui sort des cheveux de Magda Kachouche quand elle secoue la tête. Terre, air, arbres et danse font le lien avec l’étendue du temps, par un rituel qui enchante le lieu dès le départ. Quand les deux arrivent de loin, on perd déjà la notion du temps comme celle de l’espace. Jamais le brouillard de théâtre n’a été aussi vrai qu’ici, au rez-de-mousse. 

A la fin, ayant changé d’endroit pour la finale de Chêne centenaire, on a fait un vrai voyage, éventuellement jusqu’en terres provençales, landaises ou autres. Ce duo chorégraphique et performatif voit Carriau et Kachouche chanter sublimement et même en percussionnistes et poétesses, visiblement inspirées par la rencontre avec la nature. Quand elles récitent un déluge de vers où les phrases émergent comme d’un brouillard lexical, un peu à la façon de Gherasim Luca, la référence à l’espace « d’où sortent tous les loups » prend tout son sens. Comme ce spectacle en soi, qui existe aussi en salle, où il leur faut cultiver le mystère en se dissimulant dans un attirail de tissus et de tiges, alors qu’en extérieur-nuit, elles doivent s’auto-éclairer pour signaler l’avènement d’indéfinissables créatures sylvestres qui vont s’humaniser progressivement, sous les tubes éclairés qui ondulent entre les arbres. 

Il faut parler des costumes aussi, de vrais tourbillons vestimentaires. Des dizaines de blousons, t-shirts, pulls, chiffons etc. peuvent se condenser pour créer des couvre-chefs farfelus comme dans un carnaval ethnique ou pour un camouflage, évoquant une sorte de pouf vestimentaire, qui permet de s’extraire au réel pour entrer dans un état d’exception. C’est dans une tenue aussi (invrai)semblable que Carriau et Kachouche ont émergé de la forêt et que la même Carriau, entre danse et comédie cette fois, apparaît dans Corps exquis de Joanne Leighton. Où une ribambelle de chorégraphes entraînent trois interprètes dans une ronde construite sur le modèle du cadavre exquis, reliant une soixantaine d’elevator pitchs chorégraphiques qui flirtent avec l’autodérision et demandent une vraie aisance théâtrale, créditée sans modération à Carriau et Lauren Bolze (un peu moins pour Yannick Hugron), très expressives dans cette excursion de June Events au Carreau du Temple. Et le trio d’installer une forêt en miniature entre les tas de vêtements des un.e.s et des autres, si bien que ce sont ici les arbres qui s’installent entre les costumes, alors qu’au Bois de Vincennes ce fut l’inverse. Naturellement. Par contre, dans Corps exquis, personne ne sait à quel.le chorégraphe vedette on doit quelle chorégraphie ! Ce n’est pas ici l’arbre qui cache la forêt, mais la forêt qui permet de se perdre, comme dans un labyrinthe, nocturne ou pas, pour vivre une divine comédie. 

June Events, jusqu’au 18 juin 2022 https://www.atelierdeparis.org/junevents/