Terrassé par le décès de son compagnon, le cinéaste David Teboul est parti enquêter sur l’amour en Sibérie. Mon amour, un voyage de deuil et de renaissance. En salles mercredi 15 juin.
Une immense étendue blanche, comme une page neuve à écrire. Qui évoque les neiges de Tintin au Tibet, l’album blanc qu’Hergé a fait pour sublimer sa dépression. Dans ce désert glacé, quelques villages perdus, leurs habitants : souvent vieux, tous isolés, pauvres, abîmés par la misère, rongés par la vodka, érodés par la violence, défaits par la vie russo-soviétique… mais qui parlent d’amour. Ils en parlent surtout parce que leur interlocuteur David Teboul le leur demande. Le cinéaste a entrepris ce long voyage jusque dans les confins nord asiatiques pour soigner le chagrin causé par la perte de son propre amour, Frédéric, son producteur et amant, disparu prématurément. Pour voir aussi à quoi ressemblait l’amour, ou les mots de l’amour, à l’autre bout du monde, le plus loin possible de lui-même et de son histoire, chez l’Autre absolu. Pour s’y oublier, s’y dissoudre, ou s’y réfléchir (tant pour le reflet que pour la pensée), peut-être y renaître. Alors, les taiseux et frustres Sibériens parlent. Ce couple de quasi-centenaires s’est connu au bal, il y a si longtemps, mais ils s’en souviennent. Telle femme raconte que son mari la battait tout le temps, vodka et ennui obligent. Dans un autre récit, c’est la femme qui est violente. Leurs visages sont aussi creusés, usés (et quelque part magnifiques) que leurs isbas misérables. Puis il y a ce jeune qui sort de prison pour avoir tué un voisin. Chacun de ces êtres recèle un roman potentiel. Un roman russe, évidemment, brutal, archaïque, primitif, vivant. Tolstoï et Dostoïevski ne sont pas loin. Tchekhov, beaucoup plus loin.
Encore plus loin, mais plus près du cinéaste, il y a Resnais et Duras. Frederic était né à Nevers. Nevers, toujours Nevers, jamais Nevers, never Nevers. Hiroshima memory, Sibérie mon amour. Curieux comme même Poutine s’invite à son insu (et à l’insu de Teboul) dans cet emboitement de rémanences, ou de poupées russes, lui qui agite la menace nucléaire presque quatre-vingts ans après Enola Gay. Kremlin mon amour ? Et soixante-trois ans après, Teboul prolonge la ligne Hiroshima-Nevers par la ligne Nevers-lac Baïkal. Ligne aérienne, ligne ferroviaire, mais surtout, lignes littéraires : après la scansion durasienne, les ruminations tebouliennes, amples, mélancoliques, résilientes, curieuses de l’Autre.
Entre documentaire, essai d’arrachement à soi et récit amoureux, David Teboul a entrepris là un gigantesque voyage filmique, géographique, culturel, existentiel et nous embarque à notre tour dans son transit sibérien : transi d’amour foudroyé et de chagrin, peut-être transi de froid, il en a ramené un film comme un exorcisme, un apaisement, un deuil accompli – larmes gelées, puis fondues, puis séchées. Un film comme une puissante et totale expérience pour le tiers spectateur que nous sommes.
Mon amour de David Teboul. Rezo Films. En salles mercredi 15 juin.
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