L’ouverture du festival de l’Ircam, ManiFeste, est une apothéose, notamment grâce au Ring de Philippe Manoury, et à une création française de Marco Stroppa jouées par l’Orchestre de Paris. À entendre une nouvelle fois ce soir à la Cité de la musique et sur France Musique.

Que pouvait-on rêver de plus ambitieux pour une ouverture de festival qu’un Ring ? Le ton fut donné, ample, total nous dirait Wagner, à qui pourtant l’œuvre de Manoury n’est pas dédiée. Le « ring » de Manoury est à entendre au sens premier d’anneau, car il s’agit d’une musique écrite pour être jouée tout autour du public, pour créer ce que le compositeur appelle dans le programme, « une machine symphonique » dont l’auditeur serait au cœur.

 L’Orchestre de Paris, dirigé par Lin Liao, s’est emparé avec maestria de cette œuvre pour lui donner sa pleine dimension. Dans la Cité de la musique, les musiciens étaient installés sur scène, mais aussi sur les côtés, et derrière le public. L’effet changeait tout au long du concert, et nous étions ainsi comme projetés à l’intérieur de la partition, et pouvions en saisir toutes ses finesses d’invention. C’est bien là l’un des effets recherchés depuis l’ouverture, que les musiciens n’entamèrent pas avec la solennité requise, mais petit à petit, comme ils s’accorderaient et entreraient dans la musique l’air de rien, cassant ainsi d’entrée de jeu le rituel du concert orchestral. Même volonté, théâtrale, de nous placer dans l’œuvre in progress. Effet réussi, la salle devient peu à peu suspendue à l’évolution de la musique, à ses nuances, ses riches métamorphoses. Manoury dit ainsi vouloir mettre à bas la hiérarchie, retourner à une utopie originelle de l’orchestre, et peut-être même, la repenser entièrement. Il en faut de la virtuosité, de l’amplitude, pour parvenir à ainsi essayer de composer pour l’orchestre, de manière entièrement neuve.  Mais à écouter ce Ring, premier volet de la trilogie Köln, dont la beauté à certains instants prit des accents de Debussy, nul doute que Philippe Manoury se révèle à la hauteur de son ambition.

En deuxième partie, nous avons pu entendre la création de Misato Mochizuki, Intrusions,  pour la première fois jouée dans sa version intégrale. Aussi foisonnante et dispersée que le Ring de Manoury était opulent et équilibré, Intrusions cherche, explique la compositrice, à recréer « la manière dont le cerveau traite les informations extérieures. »

Enfin, dans un final très original, était présentée l’œuvre de Marco Stroppa, artiste italien mis à l’honneur par l’Ircam. Il s’agissait de la création française de Come Play With Me, titre emprunté à Yeats, et qui délivrait déjà la dimension poétique de cette musique. Mais un poème post-apocalyptique ou post-humaniste, car en guise de soliste, face à l’orchestre, descendit du ciel une colonne de sept haut-parleurs, ce que Stroppa désigne comme un « totem acoustique », mais qui eut la présence et la hauteur d’un musicien, jusqu’aux derniers instants. Premier à donner ainsi à l’électronique une place ainsi face à l’orchestre, Marco Stroppa  dit s’être inspiré du Concerto numéro 4 de Beethoven, pour recréer un même rapport révolutionnaire à l’orchestre. Le résultat est réussi, particulièrement dans la dernière partie de l’œuvre, qui laisse le spectateur ébahi, véritablement suspendu d’une part aux adieux de l’orchestre, mais ensuite, aux dernières notes du totem électronique, pris dans cette résonance du bois et de la machine, ici magnifiée. Manoury, Stroppa, ont, chacun à leur façon, offert hier soir leur définition de la partition orchestrale.

Concert d’Ouverture de ManiFeste 2022, le 9 juin à la Cité de la Musique, et à entendre sur France Musique le 22 juin à 20h

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