Au Centre Pompidou, Tatiana Trouvé dresse par ses dessins et ses sculptures une cartographie singulière en plusieurs dimensions.
Répondant à l’invitation du Centre Pompidou à investir les quelque huit cents mètres carrés de la Galerie 3, Tatiana Trouvé (née en 1968) en reconfigure la surface et en recrée le sol à l’aide de matériaux variés. Auréolée du prix Marcel Duchamp en 2007, l’artiste franco-italienne a en effet pensé son exposition comme une installation totale, un paysage fantasmatique où prédomine une composante tout à la fois graphique et architecturale. Ici se dressent les chemins de traverse de la remémoration, là où la perte se conjugue à la révélation. Car dans cet espace devenu énigmatique, à défaut d’être labyrinthique, Tatiana Trouvé convie les contingences évanouies, soit tout ce qui côtoie de près la disjonction de l’oubli. Elle s’intéresse ainsi à ce qui fonde l’essentiel de la mémoire, à ses caractères ductiles et à ses qualités cotonneuses, lesquelles pointent une réalité autre, fascinante, vertigineuse. Dessins et sculptures s’entrecroisent et, tout en affirmant leur interdépendance et leur nécessaire recours, ceux-ci brouillent les repères familiers, enjoignant alors le spectateur à se défaire d’un réel trop cadenassé. Contrer l’enfermement : tel pourrait être en effet le mot d’ordre général de ce grand atlas de la désorientation – titre éponyme de l’exposition – lequel semble désigner un état mental bien plus qu’un découpage purement spatial. Pour preuve, dès le vestibule d’entrée, s’affichent les œuvres de la série From March to May.
C’est pendant le premier confinement de mars 2020 que l’artiste a commencé cette série de dessins réalisés au graphite, à l’encre et à l’huile de lin, utilisant alors pour support les couvertures des grands quotidiens. Pareille pratique peut ainsi s’entendre comme une prise de liberté sur ces temps incertains. Plus loin, d’autres dessins ne sont pas accrochés aux murs mais esquissés à même le sol, suspendus au plafond, dressant ainsi une configuration ouverte au vacillement de la perception. Tatiana Trouvé réfute l’univocité des points de vue, elle en pointe toute l’ambivalence, toute la nature ambiguë. Des grands formats inédits côtoient d’autres séries, antérieures cette fois-ci, à l’exemple des Dessouvenus, expression bretonne désignant les personnes ayant perdu la mémoire. Ici, des images évanescentes sont rendues opalescentes : les feuilles de papier ont été plongées dans un bain d’eau de javel, s’enveloppant alors d’un aspect déréalisé. Logées entre apparition et effacement, ces visions éthérées surgissent comme autant de fragments où des formes architecturales se mêlent à des éléments paysagers et mobiliers. Il s’agit d’un univers mental et dépeuplé, que l’homme a déserté en y laissant ses traces, les signes de son activité. Partout, les données matérielles prolongent et soulignent les tracesmémorielles : ces dernières se jouent des illusions, exhortant bien plutôt les méandres tapis de l’imagination. Sans carte ni territoire, la réalité extérieure est dès lors vécue de l’intérieur, cet abyme où persistent et perdurent, comme en lointain écho, ses doubles insistants.
Exposition Tatiana Trouvé, le grand atlas de la désorientation, du 8 juin au 22 août 2022, galerie 3 du Centre Pompidou