Au Centre Culturel Canadien, trois artistes tissent le récit de leur expérience de l’immigration en exposant le voyage des symboles, d’Orient en Occident.
C’est une histoire vieille comme le monde, celle de l’infusion des symboles culturels d’un peuple au sein d’une autre culture. Néanmoins, à l’heure de l’intensification du phénomène migratoire et du vif débat sur l’appropriation culturelle qui anime l’art contemporain à travers le prisme d’une pensée postcoloniale, l’histoire des symboles, qui est aussi celle d’un grand déplacement, connaît un regain d’intérêt de la part de nombreux artistes issus de l’immigration. Leurs regards intimes, porteurs d’une double culture, questionnent l’héritage des formes artistiques. C’est le cas des œuvres de Soheila Esfahani, Xiaojing Yan et Jude Abu Zaineh qui entremêlent avec délicatesse la question des racines et de l’altérité, dans une scénographie à l’élégance épurée. Et signe d’une puissance formelle émouvante, leurs œuvres se font singulièrement écho, alors même qu’elles ne se connaissaient pas avant d’exposer ensemble. Même sentiment d’arrachement, même nostalgie des origines, même pensée critique sur la dénaturation des symboles culturels, après leur translation au sein d’une autre culture. Canadiennes toutes les trois, elles mettent en scène des motifs et des rites totémiques de leurs pays d’origine, l’Iran, la Chine et la Palestine, comme autant de boussoles dont elles observent l’inévitable processus d’hybridation. Et nul besoin d’aller chercher les mythes les plus connus, cette hybridation se niche aussi dans les arts populaires, ornements, objets domestiques ou traditions culinaires. Toutes ces choses ordinaires, souvenirs intimes et odeurs persistantes que l’on emmène lorsque l’on quitte son pays pour réaliser sa vie ailleurs. Fétiches discrets qui, en se décontextualisant, perdent leur nature première.
Une cigale légendaire de la Chine ancestrale transformée en fée occidentale, une série d’assiettes de porcelaine bleue et blanche dont les motifs se floutent sous l’effet ravageur de la standardisation, un plat typique de Palestine aux airs de Pop Art rappelant les logos que le collectif artistique canadien General Idea avait imaginés en réaction à l’épidémie de sida dans les années 1980. Mais à la place du graphisme AIDS, on déchiffre HOME répété à l’infini sur un grand papier peint. En face, dans des boîtes de Petri, les grains de riz du Maqlouba sont archivés, traces rescapées d’un pays perdu dont l’œil du biologiste s’apprêterait à recenser les caractéristiques invisibles. Celles d’une identité culturelle noyée dans le grand bain des traversées migratoires. Le célèbre « willow pattern » (motif de saule) des porcelaines chinoises raconte-t-il toujours la même histoire au fond d’une assiette anglaise ? Guanyin, la déesse chinoise de la Miséricorde tissée de fils rouge sang et vidée de son corps magique peut-elle avoir la même puissance ? Et cet étincelant vortex fait de milliers d’exosquelettes dorés ne symbolise-t-il pas la quête d’une réincarnation utopique ? Entre deux mondes, comme le sont beaucoup de Canadiens, voici les récits croisés de cultures nomades, portatives, guidés par l’écho résilient des symboles.
De l’Art de vivre – The Art of living. Du 13 mai au 21 octobre 2022. Centre Culturel Canadien. canada-culture.org