La Périchole à l’Opéra Comique offre une joie toute printanière. 

Qu’elle est attachante, La Périchole ! Avec Orphée, La Belle Hélène, la Vie Parisienne et La Grande Duchesse, elle constitue l’un des opéras-bouffes les plus réussis (et les plus souvent montés dans les théâtres) de Jacques Offenbach. C’est qu’on trouve ici une grâce un peu triste, une manière d’humour sombre, presque inquiet, que n’ont pas forcément les autres chefs-d’œuvre du maître. Disons que par son sujet -afin ne pas mourir de faim, une femme trahit l’homme qu’elle aime pour se jeter dans les bras d’un puissant- La Périchole peut être tirée vers la satire et même le drame. C’est en cela un opéra-bouffe dont la mise en scène peut totalement obliquer le ton, l’éclairer d’un jour différent. 

Dans sa nouvelle production sur la scène de l’Opéra- Comique, Valérie Lesort n’a pas choisi cette voie-là. On est devant une Périchole joyeuse, rigolarde, délibérément « bouffe », rehaussée par les mille couleurs des superbes costumes signés Vanessa Sannino et les décors très « bd » de Audrey Vuong. La metteuse-en-scène nous offre un spectacle bon enfant, qui regorge d’idées visuelles parfois fort réussies (les marionnettes de lamas péruviens, qui apparaissent çà et là ; les chevelures qui se transforment en arrière de mulets !) parfois plus encombrantes (la permanence de numéros dansés, y compris dans les parties les plus intimistes, comme le célèbre « air de la lettre »). Par un souci des plus honorables, le texte de Meilhac et Halévy n’a pas été trop charcuté, ce qui nous permet d’entendre les répliques de la création (1868) et de sa refonte (1874). Peut-être pèche-t-on là par trop de respect, car cela ralentit le rythme général, mais Valérie Lesort est une vraie femme de théâtre et ne laisse jamais l’œuvre s’assoupir. 

Elle est en cela épaulée par la baguette tout feu tout flamme de Julien Leroy, qui semble beaucoup s’amuser à fouetter les tourbillons offenbachiens. A la tête de l’orchestre de chambre de Paris, il exalte certains contrastes de la partition mais oublie parfois de la laisser respirer, tant il en attaque les virages à deux cents à l’heure. On est ici dans l’école Minko, pas l’école Plasson. Mais cela donne des fourmis dans les jambes ! 

Sur scène, l’équipe de véritables chanteurs-comédiens entre volontiers dans cette joyeuse sarabande, sans jamais oublier qu’ils servent ici une grande partition. Dans les deux rôles bouffes des conseillers du rois, Lionel Peintre et Éric Huchet sont impeccables. Tassis Christoyannis confère son autorité naturelle et son beau timbre au personnage du vice-roi, qu’il ne réduit jamais à un pantin. Philippe Talbot est un impeccable Piquillo, bien chantant et sachant se montrer touchant. Enfin, Stéphanie d’Oustrac offre à sa Périchole son expérience de tragédienne. Si elle est volontiers cocasse, la mezzo française se rappelle qu’elle fut aussi Médée, Cassandre, Charlotte, et son héroïne y gagne une profondeur, une gravité, qu’un seul regard, une seule mimique de sa face féline suffit à exprimer. Son timbre chaud et ample tire La Périchole vers le grand-opéra, réussissant un contraste fort réussi avec la légèreté générale d’une production qui met en joie, comme une chaude soirée de printemps.   

La Périchole,  Jacques Offenbach, direction musicale Julien Leroy, mise en scène Valérie Lesort, Opéra Comique, jusqu’au 25 mai