L’artiste-musicien Hassan Khan a les honneurs du Centre Pompidou. En 40 œuvres conceptuelles, il parvient à chanter l’âme de l’Égypte contemporaine. Inclassable ! 

Hip-hop, jazz persan, rock alternatif, shaabi ? On serait tenté de dire hip-hop. La musique qui nous accueille au rythme d’un puissant beat algorithmique puise, en temps réel, dans une base de données, des contenus musicaux pour créer un son original, si ce n’est que son automatisation informatisée en fait le pur produit d’un système, symptôme évident de notre société mondialisée. « Système » ? Voilà peut-être le mot-clef de l’art multimédium de Khan, pour ne pas dire multi-instrumentiste. Sons, vidéos, photographies, installations, écritures… Khan déroule une immense scénographie, rétrospective de son œuvre, ayant vocation à nous faire ressentir les systèmes économiques et culturels qui régissent nos vies, à la manière d’un beat lancinant. Battement inconscient, insistant, dans lequel nos individualités se dissolvent lentement. The Infinite Hip-Hop Song s’étire aussi en slogan sur le mur, fresque urbaine qui ouvre l’espace théâtral de l’exposition dont les planches au sol révèlent plusieurs niveaux de déambulation. Nos pas s’y perdent, reviennent en arrière. Cette estrade centrale nous met dans la position d’un spectateur devenu acteur malgré lui. Pour Khan, elle est la place du village, l’espace public, l’agora, là où tout peut se dire, se penser, se confronter, se rêver. 

On ne sait trop par où commencer. Laissons-nous happer. Sortis d’un écran, les mots d’un dialogue absurde réanimant en noir et blanc deux stars du cinéma comique égyptien se cognent contre des cylindres de verre silencieux qui jonchent le sol un peu plus loin. Leurs titres : Abstract Music. Aucun lien apparent entre ces deux œuvres, si ce n’est la tentative d’une représentation de nos systèmes de pensées. La saynète télévisée parle de l’irrigation d’une forme de culture populaire dominante tandis que les sculptures de verre semblent mimer une mélodie cyclique qui infuse les civilisations depuis la nuit des temps. 

Petit à petit, les fragments de récits racontés par Khan nous immergent ailleurs, chez lui, au Caire, où il s’emploie depuis le début des années 1990 à questionner les identités égyptiennes. Leurs maux, leurs contraintes, leurs aspirations. Blind Ambition – le titre de l’exposition – reprend le titre d’une vidéo créée en 2012 à l’aide de deux téléphones portables qui filmaient déjà le quotidien de neuf situations sociales. Khan observe les « ambitions aveugles » des travailleurs et de la classe moyenne de son pays, dont il capte, en forme de poésie visuelle, les codes culturels et les affects intimes. L’œuvre phare de l’exposition, de 2004, livre sur quatre écrans simultanés – permettant quatre points de vue différents – le récit de Cairotes. On se retrouve au centre de ces histoires, dont on ne sait si elles s’approchent plus du documentaire ou de la fiction. Mais peu importe, elles sont touchantes, elles sont la vie. L’art de Khan est existentialiste. On est peut-être dans la pénombre de l’immeuble Yacoubian ou au cœur de la place Tahrir. Au loin, un son domine, la rythmique persistante du shaabi. La voix du peuple égyptien. 

Hassan Khan, Blind Ambition, jusqu’au 24 avril 2022, Centre Pompidou, centrepompidou.fr