Bruno Geslin présente au Nouveau Théâtre de Montreuil, sa toute dernière création, une adaptation en rouge et noir de l’Édouard II de Marlowe. Un chef-d’œuvre.

Tout commence par la fin. Dans un décor cramé, noir charbon, rappelant la carcasse encore fumante du Théâtre du Globe, mais aussi les ruines de l’Angleterre, ravagée par les guerres de pouvoir entre les grands seigneurs, Édouard II vêtu de haillons sales, s’avance vers la mort. Pas celle d’un monarque, mais plutôt d’un dépravé, qui n’a vécu que pour ses amours illégitimes, ses passions folles, ses bravades, d’un tyran qui a souhaité imposer à tous, son amant, le jeune chevalier Gaveston. 

 Remontant le fil du temps, revenant à la genèse d’un règne mâtiné de conflits, de stupres, de sensualité baroque, tissant avec la complicité de Jean-Michel Rabeux l’histoire de ce roi déchu dont l’insensée et extravagante obsession a servi de terreau ardent à la tragédie de Christopher Marlowe, Bruno Geslin signe une fresque « queer » de toute beauté. Décalant son regard, préférant l’extravagant au simple drame, le mordant d’une ironie cruelle à la tragédie, il transcende les époques, passant d’un cul-de-basse-fosse médiéval à un sous-sol underground d’un cruising bar très eighties. Redistribuant les cartes du genre, il donne à l’hallucinante Claude Degliame et l’étonnante Alyzée Soudet, le rôle du roi et de son mignon, à l’excellent Olivier Normand, celui de la sibylline reine Isabelle, fille de France. S’inspirant d’une imagerie clairement gay, Bruno Geslin convoque au plateau le fantôme de Querelle de Brest, donnant vie aux dessins de Tom of Finland, sans pour autant gommer la cruauté d’une époque, la crudité du texte. Exacerbant les sens, le metteur en scène, qui avait déjà signé une sublime et esthétique évocation de Derek Jarman avec Chroma en 2015, n’a pas son pareil pour attraper l’attention du public, le séduire, l’envoûter, le mettre K.O. Entre fantaisie noire et rêverie sanglante, Le Feu, la fumée et le soufre est une sorte de danse macabre, où les morts se succèdent à un rythme effréné, où les pires compromissions au nom d’un amour passionnel mais dévoyé sont de mise, quitte à réduire le royaume d’Angleterre à peau de chagrin. Portée par une brochette de comédiens incroyables – Julien Ferranti, Robin Auneau, Guilhem Logerot, Arnaud Gélis, Jacques Allaire, Lionel Codino, Luc Tremblais et Guillaume Celly – cette galerie de personnages, qui n’a rien à envier aux Rois Maudits de Maurice Druon, exhale le vice, la luxure et la débauche charnelle. Pourtant, rien n’empêche l’amour d’éclore, d’interrompre la quête d’absolue luxure.

Le Feu, la fumée et le soufre d’après Édouard II de Christopher Marlowe, mise en scène de Bruno Geslin. Nouveau théâtre de Montreuil, du 31 mars au 9 avril.