Huit artistes invoquent la poésie des pierres à la Galerie Jean Fournier, en collaboration avec les galeries Kamel Mennour, Semiose et Anne Barrault.

      Le caillou est le plus pauvre et le plus luxueux des éléments. Du Petit Poucet à Nicolas Flamel, des jades impériaux aux diamants anversois, la pierre n’a eu de cesse d’attirer la curiosité. Pierre du temple sacré, de la comète incandescente, de l’autel divinatoire, des amants inséparables. Elle est cette chose inerte, tout aussi intime que grandiose. On la foule aux pieds, on la porte près du cœur, on la devine dans le ciel, on la vénère sur terre, héritage de nos gloires passées, ruines éternelles, porteuses de légendes acclamées. Philosophale, thérapeutique, circéenne, elle transcende les rêves les plus étincelants et convoque les formes et les reflets les plus variés. 

Dans cette minéralité, nous chercherons peut-être « l’immensité intime des petites choses », écrit Bachelard. Dans cette minuscule pierre précieuse en effet, ne voyons-nous pas un univers entier, sur ces stries rocheuses, ne décelons-nous pas la profondeur vertigineuse des temps ? Ainsi, au creux des deux Panses datées de 1965 de Simon Hantaï – artiste historique de la galerie Jean Fournier – affleure « l’immensité intime » de la matière. Après pliage et dépliage de la peinture – méthode inventée par l’artiste – l’abstraction se fragmente, constellation spontanée, rythmée d’aspérités et d’intensités colorées. Notre regard s’y enfonce, croit y voir un ventre, puis les saillies d’une roche. Autour de ces deux huiles sur toile, sept artistes contemporains, poètes de la minéralité, offrent leurs rêveries pierreuses. 

Les matrices en lévitation d’Armelle de Sainte-Marie, aux reflets duveteux, appellent le toucher. Formes d’apparence rocheuse, fétiches en suspension, elles peuvent suggérer la silhouette d’un animal mort, lentement métamorphosé en fossile ou le processus métamorphique d’une concrétion. Et comme chez Hantaï, éclôt une étrange alchimie de l’organique et du minéral. Les pierres parlent à la chair. À la danse des rochers volants de la photographe Manuela Marques fait écho la mélodie des pierres retournées de Bernard Moninot. À l’encre de Chine, ces subtiles partitions dont les lignes sont pareilles aux sinuosités d’un sismographe, chantent la vie minérale, celle qu’on croit figée et dont on ne voit jamais les infimes bruissements. Les pierres parlent à l’atmosphère. Clameur souterraine, murmure immémorial, que Petrit Halilaj tente de retrouver dans le frémissement de ses mobiles équilibristes. Les pierres parlent aux morts. Quelque part, enfermés, cachés, les mystères des forces telluriques se lovent dans le cocon de Daniel Pontoreau, pierre réfractaire réchauffant en son sein un embryon de porcelaine blanche, aussi douce qu’un nouveau-né. C’est dans cette merveilleuse inertie que nous immergent les paysages de Christophe Robe et Guillaume Dégé. À l’intérieur, des formes cellulaires, à moins que ce ne soit des rochers microscopiques, s’étirent en d’imperceptibles fluidités ou en harmonies pétrifiées. Les pierres parlent aux poètes. On les contemple comme on contemple le monde.

Exposition Pensées Pierres, du 19 mars au 7 mai 2022, galerie Jean Fournier, galerie-jeanfournier.com