Entre l’énergie débordante de l’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp, les mélodies acides d’Anika ou les climats éthérés d’Hania Rani, sans oublier une expédition nocturne à la recherche d’une énigmatique Montagne magique, le festival genevois brasse avec bonheur les styles et les disciplines artistiques sous le signe d’un éclectisme ouvert et généreux.

Tout commence par une mélodie interprétée par un trio de cordes, deux violons et un violoncelle bientôt rejoints par une contrebasse. Sans le laisser prévoir, cet air doux et prenant aux accents folk est le prélude à un formidable embrasement comme seuls savent les susciter les musiciens de l’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp, formation genevoise à géométrie variable accueillie avec un enthousiasme débordant par le public à l’occasion de leur concert dans le cadre de l’édition 2022 du festival Antigel à Genève. Cet orchestre, qui selon les configurations comprend entre six à quatorze instrumentistes – ce soir-là ils étaient douze –, brasse avec brio des influences multiples dont les saveurs épicées trouvent leur plein épanouissement dans l’espace de la scène. Mêlant cuivres, marimbas, cordes, chant, le tout propulsé par deux batteries, leurs compositions bâties sur des riffs de cuivres et de guitares, appuyées par un solide sens du rythme ont des vertus aussi euphorisantes que communicatives. Leur concert donné le 3 février à l’Alhambra correspondait parfaitement à l’esprit du festival Antigel, dont l’éclectisme est le mot d’ordre. 

« L’an passé nous avions imaginé des formules originales pour maintenir le lien avec le public du festival sous forme de clic and collect ou de performances proposées pour un spectateur unique pendant cinq minutes », explique Thuy-San Dinn co-directrice et fondatrice avec Eric Linder du festival Antigel. Tous deux se réjouissent de programmer à nouveau une édition sans restrictions majeures liées aux conditions sanitaires. L’édition 2022 poursuit ainsi l’aventure née en 2012 de ce festival mêlant différentes disciplines artistiques – musiques, théâtre, danse, performance, actions culturelles – impliquant une multiplicité de lieux à Genève et dans ses environs. 

Eric Linder insiste sur un événement organisé cette année dans le cadre de « Made in Antigel ». Une opération baptisée Expédition Montagne magique conçue avec le concours du dramaturge Fabrice Melquiot, de la chorégraphe Perrine Vali et du performer Vincent Garanger. Eric Linder : « Il s’agissait de sensibiliser le public en lui proposant un safari nocturne sur les traces d’un camion roulant en marche arrière vers un des sites les plus élevés de Genève, une montagne magique qui depuis quarante ans ne cesse de grandir. » La montagne en question est une décharge publique et sa « magie » est évidemment très relative, d’autant qu’elle est constituée pour une bonne part de métaux lourds. Thuy-San Dinn et Eric Linder défendent ardemment cet aspect du festival. Pour eux, Antigel ne doit pas se résumer à une collection de spectacles ou de concerts, mais entend aussi jouer un rôle politique d’acteur culturel. 

Hasard de la programmation, c’est une ex-journaliste politique à la double nationalité britannique et allemande que l’on pouvait voir en concert le 1er février au Groove. Seule sur scène avec une guitare et un sampler, la chanteuse Anika interprète l’ensemble de son dernier album, Change. Que ce soit Never Coming Back qui parle de la destruction de l’environnement ou l’entêtant Wait for Something où elle martèle la nécessité vitale d’un changement, ses textes témoignent de préoccupations politiques. Sa voix balance entre mélodie pop et incantations sur un fond sonore aux accents psychédéliques rappelant parfois les vibrations répétitives de Suicide. Elle conclut son set avec une reprise électrisante de I Go to Sleep de Ray Davis qu’on garde longtemps en tête une fois quittée la salle. 

Le même soir, on pouvait aussi découvrir au Casino Théâtre les paysages atmosphériques façonnés par la Polonaise Hania Rani. Ses compositions aux formes fluctuantes comme autant de climats envahis de nappes planantes évoquent au passage le krautrock de Tangerine Dream ou des territoires plus classiques inspirés notamment de Maurice Ravel. Là encore l’éclectisme était à l’honneur, conforme à l’esprit d’un festival sans œillères, ouvert sur le monde et riche en propositions.

Festival Antigel, jusqu’au 19 février à Genève et environs, Suisse. Antigel.ch