C’est une œuvre exhumée du Siècle d’Or que l’Opéra Comique présente aujourd’hui, Coronis de Sébastián Durón.

L’archéologie est une science vicieuse. Trop passionnés par leurs recherches, ses pratiquants en viennent à prendre des vessies pour des lanternes. Sous prétexte d’ancienneté et d’oubli, un vestige de jadis est rebaptisé chef-d’œuvre quand il n’est -comme nous tous- qu’une juste victime du temps qui passe. Pourquoi vouloir contredire le rythme naturel des choses ? On m’objectera maints contre-exemples, mais si une œuvre échappe à la postérité c’est qu’elle n’avait pas les reins assez solides pour regarder l’éternité dans les yeux. Surtout, voilà un demi-siècle que l’on fouille – à raison- les greniers de la musicologie européenne où il ne reste que de la poussière. Tout cela pour dire que certaines résurrections relèvent désormais de l’artifice, du happening.

On était pourtant bien curieux de l’entendre, ce Coronis, rarissime exemple d’opéra baroque espagnol, possiblement créé à l’Alcazar aux premiers feux du XVIIIe siècle. Son auteur, Sébastián Durón (1660-1716), est un pur produit du Siècle d’Or, qui a vu converger en Espagne tout ce qui se faisait de grand, de beau et de puissant. Duron connaît également sur le bout des notes les règles de ce genre nouveau qu’on appelle opéra et qui, de son côté des Pyrénées, se nomme encore zarzuela. Enfin, ce contemporain de Purcell goûte le mélange des genres et les télescopages mythologiques, avec dieux vengeurs, nymphes grotesques, tempêtes et dryades… 

Las, si le public madrilène de 1706 a fait une fête à Coronis, les oreilles de 2022 s’y endorment sans remords. Non qu’elle soit déplaisante, cette partition. Elle est même élégante, raffinée, parfois virtuose ; mais le sentiment de déjà-vu gagne vite du terrain. Ajoutez à cela un livret filandreux qui confine à l’imbitable, si bien que l’ensemble sonne comme un pastiche de Monteverdi à la sauce castagnette. Ce sont d’ailleurs les parties ouvertement espagnoles qui, tout à coup, réveillent le public. Lorsque les rythmes ibères affleurent, la partition gagne une profondeur et une authenticité réelles ; mais trop vite la « couleur locale » replonge dans une indécrottable monotonie et le contraste en est cuisant. 

Ce constat est d’autant plus dommage que la réalisation musicale et scénique est assez exemplaire. Fidèle à son esprit barocco-circassien, le colombien Omar Porras s’échine à animer tout cela, et c’est parfois une fête pour les yeux. Décors mobiles, énergie permanente, pyrotechnie, acrobates, la scène est toujours en mouvement. Chaque chanteur semble investi par le même engagement, et aucun ne démérite. Mention spéciale pour le superbe Protée de Cyril Auvity et le Neptune de Caroline Meng, mais tous seraient à citer, car ils font preuve d’un superbe esprit de troupe, et semblent manifestement heureux de jouer ensemble. Enfin, Vincent Dumestre dirige cette œuvre avec un amour et une science incontestables. Les plus beaux moments de la partition sont d’ailleurs ses (trop rares) parties orchestrales, où le compositeur semble avoir laissé parler ses racines, et dont le Poème Harmonique sait exalter les plus subtiles couleurs. On regrettera juste que cette énergie, cet engagement, ces talents mêlés, soient mis au service d’une œuvre qui ne mérite pas tant de fleurs. Le mélomane gastronome songe à ces plats de ménage que certains cuisiniers s’amusent à sublimer. On aura beau les servir dans la plus belle vaisselle et les parsemer de truffes, un gratin de chou-fleur et des endives au jambon ne tutoieront jamais les anges.  

Coronis, Sébastián Durón, direction musicale Vincent Dumestre, mise en scène Omar Porras, Opéra Comique, jusqu’au 17 février.

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