Sortie dvd de quatre Ferreri des années soixante. Génialement et drôlatiquement scandaleux.

Moins célébré que les Rossellini, Fellini, Visconti  co, Marco Ferreri était tout aussi important mais anti-consensuel. Tamasa fait paraître quatre de ses films des années soixante, sa première époque. Tourné à Madrid, La Petite voiture est une farce grinçante qui évoque autant la truculence de la comédie italienne que la vérité documentaire du néo-réalisme. Contant l’obsession d’un vieillard pour une voiturette d’handicapé alors qu’il ne l’est pas, Ferreri brocarde autant la folie égoïste des vieux que la façon dont ils sont maltraités par leurs enfants. La sacro-sainte famille y est bien malmenée. Dans Le Lit conjugal, il est encore question de la famille et de l’omniprésence de l’Église catholique dans la société italienne. Après des années à faire la fête, un homme décide de se marier à quarante ans. Bien qu’élevée dans le strict respect de la religion, sa jeune épouse (sublime Marina Vlady) l’épuise au lit jusqu’à ce qu’elle tombe enceinte. Ensuite, rideau. L’homme dépérit, et finit par mourir. Comme la reine des abeilles (titre d’origine), la femme n’a plus besoin du bourdon une fois qu’elle est fécondée. Féministe ou misogyne ? Surtout anti-clérical et anti-famille. Et très drôle, grâce au génial Ugo Tognazzi. Dans une des scènes, le couple rend hommage à Sainte Lia, femme pourvue d’une barbe pour repousser les agresseurs sexuels. Cela annonce le film suivant, Le Mari de la femme à barbe, sorte de miroir inversé du précédent. Un homme, toujours interprété par Tognazzi, rencontre une femme pileuse (Annie Girardot, dans un de ses plus beaux rôles) et décide de l’exploiter comme phénomène de foire. Éventuellement, il l’épouse, non par amour mais par cupidité. C’est à la fois grotesque et malaisant. Le monstre n’est pas la « femme-singe » mais son époux, ainsi que la société qui exclue les gens différents et en fait des objets de spectacle. En raison de la censure, ce film a trois fins différentes : l’une tragique, l’autre « happy », la troisième et la plus implacable étant celle de Ferreri : après la mort de sa femme et de leur bébé, le mari continue le spectacle en exposant leurs cadavres. La rage de Ferreri ne faiblit pas dans Dillinger est mort, seul de ces quatre films qui ne soit pas une comédie : la soirée d’un bourgeois solitaire (Michel Piccoli, génial aussi). Sa femme est au lit souffrante (Anita Pallenberg, Mme Keith Richards à l’époque), il se fait à dîner, regarde la télé, drague sa femme de ménage, joue avec un pistolet… Pas de dialogue, de la pure observation comportementalisme, un peu comme dans le Jeanne Dielman de Chantal Akerman. Puis, il flingue sa femme, tandis que Ferreri flingue la douce aliénation de la société de consommation. On ne rigole plus. Mais on dit viva Ferreri !

La Petite voiture, Le Lit conjugal, Le Mari de la femme à barbe, Dillinger est mort, DVD/Blu-ray, Tamasa Diffusion

Rétrospective Ferreri à la Cinémathèque jusqu’au 28 février

À lire : Marco Ferreri, le cinéma ne sert à rien, de Gabriela Trujillo (Capricci)