Marina Chiche met en lumière trente musiciennes talentueuses des XIXe et XXe siècle dans Musiciennes de légende. Un écrin pour ces artistes aux vies passionnantes dont certaines sont encore oubliées de l’histoire de la musique.   

Qu’est-ce qui fait une légende de la musique ? Le beau livre de la violoniste Marina Chiche nous offre quelques pistes de réponse. Un destin, parfois tragique, toujours remarquable, une route que l’on continue d’emprunter, en dépit des obstacles, guidé par sa vocation, et bien sûr par un talent puissant. Marina Chiche dresse trente portraits, accompagnés d’une riche iconographie de musiciennes exceptionnelles. Bien souvent des pionnières, qui réussirent à pénétrer dans de grandes « phalanges orchestrales » jusqu’alors masculines ou à mener des carrières de solistes. À l’instar de Ginette Neveu qui livra ce qui reste sans doute la plus incandescente interprétation du Tzigane de Ravel. Une étoile filante, morte à trente ans, lors du crash d’un avion nommé… Constellation. Marina Chiche est habitée par cette violoniste à laquelle elle consacra une série d’émissions remarquables sur France Musique. Lorsque je l’ai rencontrée, pour la première fois, il y a quelques années, dans les bureaux de Transfuge, c’est d’ailleurs la découverte de notre passion commune pour Ginette Neveu qui nous y avait spontanément fait sympathiser. Une légende, c’est aussi des destins à peine croyables. Comme celui d’Antonia Brico, née à Rotterdam en 1902. L’orpheline, battue par ses parents adoptifs, se fit embaucher comme ouvreuse pour scruter en coulisses les mouvements des chefs et leur confier son vœu : embrasser la même carrière. Tous lui rétorquent que « diriger ne peut être qu’une carrière d’homme ». Peu importe, aussi obstinée que talentueuse, elle réalisera son rêve, allant même jusqu’à diriger -certes à 72 ans- l’Orchestre philharmonique de Londres. 

On constate à la lecture de ces portraits combien rares furent les carrières heureuses. Leurs routes sont souvent parsemées d’embûches voire fracassées, notamment par des préjugés, souvent misogynes, qui portent la marque de leur temps. Marina Chiche insiste sur cet aspect. Sans tomber pour autant dans le manichéisme. Ainsi, raconte-t-elle, que si Mahler s’insurgea d’abord de devoir diriger la violoniste Maud Powels, qui cumulait les (selon lui) tares d’être femme et Américaine, il reconnut vite son erreur après l’avoir entendu jouer. Ces musiciennes sont aussi ambassadrices comme la soprano Marian Anderson qui fut l’une des porte-paroles de la lutte pour les droits civiques des Noirs ; comme ces « Prodigieuses » et ces « Divines » comme la Roumaine Clara Haskil, Nadia Boulanger ou la mystique Maria Youdina. Musiciennes de légende est ainsi un livre plein de ferveur, d’anecdotes et de sensibilité. Guidée par la passion, l’admiration et la reconnaissance qu’elle leur porte, Marina Chiche les raconte, ces femmes, avec feu. Se faisant, elle tisse des liens entre passé et présent proposant d’éclectiques et brillantes sources d’inspiration.  

Musiciennes de légende, Marina Chiche, éditions First, 179p., 21,95euros