Du bondage japonais à la floraison tropicale, la compagnie Sina Qua non Art explore dans Nos désirs font désordredeux facettes apparemment opposées de nos désirs ardents. Désordres salutaires.  

Nos désirs… noirs désirs ? Désirs en fleur, à fleur de peau ! « Quand nous savons satisfaire notre corps, nous savons alors comment satisfaire notre âme », écrivent Christophe Béranger et Jonathan Pranles-Descours. Les fondateurs et chorégraphes de la compagnie Sine Qua Non Art revisitent l’ordre moral en affirmant haut et fort que Nos désirs font désordre, faisant référence au Marquis de Sade et à la libération sexuelle comme mouvement politique. Impossible d’imaginer un spectacle de danse plus radical, en termes de manifeste et de métaphore érotique que celui-ci, où la sensualité et la beauté prennent de la hauteur, où les corps se délient et les imaginaires avec eux. 

Malgré tout, il n’y a point désordre sans ordre. Aussi les douze interprètes se mettent en ordre de marche, en unisson, en maîtres et chiens, les tremblements bien ordonnancés en lignes ou en cercles. Certains crient des ordres, laissant avenir des poussées d’une obscure fièvre sadomasochiste, alors que l’un après l’autre, les fêtards fétichistes se font ligoter sous nos yeux, selon les règles du kinbaku, art du bondage japonais aujourd’hui connu sous le nom de shibari. Dans la vision d’un érotisme moulé au cuir noir, seules les cordes qui enlacent les corps font jaillir un brin de couleur, laissant planer la promesse d’une douceur émergente. Car nos désirs, loin d’être exclusivement sexuels, concernent aussi la beauté, la lumière et la vérité. 

Dans la seconde partie, toute aussi déroutante que les jeux de cordes initiaux, la couleur est partout. Les danseurs se transforment en oiseaux tropicaux et finalement en un jardin exotique qui envahit les corps, la scène et la salle. Certains spectateurs repartent même avec une branche verte ou une énorme fleur… Cette jungle luxuriante et sensuelle est l’œuvre de l’artiste brésilien Fabio da Motta. Ce photographe œuvrant à la lisière entre art et fétichisme est à l’origine d’une œuvre singulière où se combinent les arts japonais du bondage et de l’ikebana, créant un foisonnement aussi érotique que floral. Pour Sine Qua Non Art, il accepte pour la première fois de collaborer avec une compagnie de danse. 

Créé en septembre 2021 au festival Le Temps d’Aimer à Biarritz, ce jardin des délices sème un désordre certain dans nos idées sur l’ordre esthétique et moral, pour que « nos pensées deviennent des fleurs », selon Béranger et Pranles-Descours. Si les directeurs de la compagnie Sine Qua Non Art sèment le désordre stylistique, c’est qu’ils braquent les projecteurs sur une culture trash et underground qui aspire ici au sublime. Le ligotage, moyen libératoire puissant et paradoxal quand il est confronté au désir (de danser), devient une invitation à faire la fête, où l’envie l’emporte sur l’entrave. Car les empêchements n’existent que dans la pensée ! La preuve par la danse… La beauté de Nos désirs font désordre réside justement dans l’idée que la volupté visuelle et sensorielle, quand elle est dansée, dispense de tout passage à l’acte. C’est donc justement parce que ces images continuent à nous remuer insidieusement qu’elles peuvent alimenter une réflexion sur nos désirs. Pas besoin d’être fétichiste ou botaniste pour s’en convaincre. 

Nos désirs font désordre de Christophe Béranger et Jonathan Pranles-Descours/ Cie Sine Qua Non Art

Chaillot – Théâtre National de la Danse. 19-22 janvier 2022