Récit de la première de Roméo et Juliette à l’Opéra Comique : une promesse de catastrophe, une réussite totale, notamment grâce à un Roméo exceptionnel, Pene Pati. 

Les plus belles fleurs poussent sur les tas de fumier, nous dit l’adage. Il arrive en effet que de la tempête naisse un petit miracle. Une telle épiphanie, le public de l’Opéra-Comique en a été témoin à la première du Roméo et Juliette de Gounod mis en scène par Eric Ruf. 

Tout commençait pourtant mal : outre des trompettistes remplacés au pied levé pour « cause de covid », les deux rôles principaux (Jean-François Borras et Julie Fuchs) ont été déclarés positifs au virus, la veille et le jour même ! Lors, branle-bas de combat à Favart pour trouver un Roméo et une Juliette sur le pouce… Ce sont finalement le ténor samoan Pene Pati et la soprano française Perrine Madoeuf qui se sont rencontrés en début d’après-midi, pour un spectacle le soir même ! 

On sait que ce genre d’avanie arrive régulièrement à l’opéra ; mais il est rarissime que les deux protagonistes manquent à l’appel. Alors que l’un peut servir de béquille à l’autre, nos jeunes amants ont dû suivre leur instinct pour deviner les gestes, la scénographie, in vivo. La performance valait en soi le déplacement, mais s’est doublée d’un véritable tour de force vocal et théâtral. Très vite débarrassés de leur malaise (une valse de Juliette trop tendue, une cavatine où Roméo s’économisait) les chanteurs ont paru galvanisés par l’expérience, donnant le meilleur d’eux-mêmes avec une énergie et un engagement décuplé. C’est d’ailleurs une véritable ovation qui a suivi le baisser de rideau, après la mort des deux amants. Les artistes eux-mêmes semblaient sidérés d’avoir remporté le défi, et envoyaient des baisers à la foule, hilares, béats, extatiques, comme des alpinistes parvenus au sommet de la montagne. Il faut dire que, outre la performance, Perrine Madoeuf est une Juliette vaillante, engagée et très musicienne ; quant à Pene Pati, il nous tarde d’entendre son timbre de miel, sa diction presque parfaite, et ses aigus surpuissants dans les répertoires romantiques français ou italiens.

Avouons qu’il est difficile, pour un plateau scénique, d’exister en pareille circonstance. L’attention du public est à ce point chevillée aux héros -comme les spectateurs d’un trapèze volant ou d’une corrida- qu’on délaisse leurs satellites. A tort, car Adèle Charvet est un parfait Stéphano et Yu Chao un Tybalt au fort beau timbre. Le frère Laurent de Patrick Bolleire manquait peut-être d’onctuosité et le Capulet de Jérôme Boutillier d’autorité, mais l’ensemble du plateau était idiomatique.

Les familiers de la Comédie-Française n’ont pas été perdus, puisqu’il s’agissait de la production qu’Eric Ruf à consacré à la pièce de Shakespeare, et qu’il a (fort bien) « retaillée » pour Gounod et Favart. Superbes décors du scénographe, beaux costumes de Christian Lacroix, le glissement s’opère sans douleur et le recyclage est des plus malins. 

Reste le travail de l’orchestre. Laurent Campellone connaît et aime ce répertoire, qu’il dirige avec une belle alacrité. On pourra toutefois lui reprocher de privilégier la vaillance au détriment de l’élégie : trop de théâtre et pas assez de poésie. Roméo et Juliette est un immense duo d’amour entrecoupé de scènes de genres, parfois cocasses, parfois grandiloquentes, mais le chef semble plus inspiré par la dynamique dramatique de l’ensemble que la pure respiration sentimentale des scènes intimistes. Un parti-pris qui peut plaire, mais les mélomanes élevés à « l’école Plasson » se sont sentis un brin frustré : plus de langueur, maestro ! 

Mais, lors d’une telle soirée et devant une réussite aussi inespérée, ces fautes ne sont que bagatelles. Cette performance est -une fois de plus- la preuve que, parfois, le spectacle vivant porte merveilleusement son épithète. 

Roméo et Juliette, de Charles Gounod, direction musicale Laurent Campellone, mise en scène Eric Ruf, avec Pene Pati et Perrine Madoeuf, Opéra Comique, jusqu’au 21 décembre.

https://www.opera-comique.com/fr/spectacles/romeo-et-juliette