La Cinémathèque de Toulouse a l’excellente idée de programmer un cycle sur le célèbre studio de la Hammer, du 12 octobre au 10 novembre. Ajoutons qu’un nouveau coffret de Tamasa sur la Hammer (1970-1976) est disponible.
Du sang, du sexe et de la couleur avant toute chose. Voilà les ingrédients premiers de la recette qui a fait le succès de la Hammer. Dans de vieilles demeures gothiques, des jeunes filles à demi dénudées, hurlantes, sont livrées en pâture à des créatures aussi maléfiques que le comte Dracula ou le monstre créé par le non moins célèbre Victor Frankenstein. Et sous le regard médusé du spectateur, elles se font déshabiller, déflorer, dévorer.
L’âge d’or du studio anglais est au tournant des années 1950. Mélangeant l’horreur et l’érotisme, la Hammer se fait fort de ringardiser toutes les productions américaines. La voie est d’ailleurs libre depuis que le géant Universal a laissé de côté les monstres légendaires (Frankenstein, Dracula, La Momie, etc.) La vieille Europe a encore des choses à dire et la Hammer est là pour le démontrer en se réappropriant ses mythes d’origine. Le monde se souvient tout à coup que Frankenstein et Dracula sont issus de l’univers des romans gothiques anglais de Mary Shelley et Bram Stoker. Et les USA décident d’investir des capitaux dans cette so british boutique des horreurs.
Située à l’ouest de Londres, dans le studio de Bray, la Hammer est une petite société de production indépendante, qui emploie environ une centaine de personnes à peine et qui, en 1955, est sur le point de déposer le bilan. Elle mise alors tout sur un film de science-fiction horrifique qui raconte l’histoire d’une expédition d’astronautes dont l’unique survivant revient sur terre infesté par un mal inconnu. Il va peu à peu se métamorphoser en créature tentaculaire et semer la mort sur son passage. Ce Quatermass Xperiment de Val Guest (1 955), à la surprise générale, sauve le studio d’une faillite certaine. Jamais jusqu’alors on avait eu l’audace de mélanger science-fiction et horreur avec une telle débauche d’images crues et explicites. Le film est en noir et blanc et la Hammer a le culot de réclamer la classification X pour ces productions. Alors que tous les studios redoublent de ruses pour échapper à la censure, la Hammer accepte ce X de bonne grâce afin de jouer dans la cour des grands. Tant pis si ses productions sont interdites aux moins de dix-huit ans, cela permet de transgresser des limites. Avec Frankenstein s’est échappé (The Curse of Frankenstein) de Terence Fisher (1 957), la Hammer monte un cran au-dessus en s’affranchissant du bon goût. L’hémoglobine jaillit à la face du spectateur en rouge sang depuis les orbites de la créature du bon docteur Victor, interprété par la star de la BBC Peter Cushing, alors que le rôle de la créature maquillée de morceaux de cadavres cousus ensemble incombe à un jeune premier de trente-cinq ans déjà : Christopher Lee. L’horreur en couleur, c’est inédit, agressif, démentiel. La Hammer forge sa marque de fabrique, c’est un studio à nul autre pareil et le monde entier salue ses exploits, quand bien même la critique lui bat froid. La série des Dracula ouvre un nouveau bal avec son vampire prédateur sexuel qui emprunte les traits de Christopher Lee — décidément spécialisé dans les monstres à visage humain — en lutte avec son double Van Helsing, le chasseur de vampires, interprété par l’indétrônable Peter Cushing. Car l’une des autres spécialités de la Hammer est de former famille. Les cinéastes, les acteurs, les techniciens, les décors se retrouvent films après films et façonnent un style unique, celui de la Hammer Film Productions. L’atmosphère gothique et les couleurs éclatantes soudain noyées dans la brume de la photographie des Frankenstein, Dracula, La Momieou Le Chien des Baskerville sont nés de ce petit studio « victorien ». On y fabrique un film en quatre semaines environ et puisque l’équipe comme la production sont restreintes, tout le monde travaille sur le même projet dans une ambiance détendue et familiale — le style Hammer devient immédiatement identifiable.
Arrêtons-nous un moment sur la silhouette la plus emblématique, celle du vampire. La célèbre créature aux canines proéminentes acérées façon Hammer est un être assoiffé de sexe aussi bien que de sang qui dévoile ses pulsions en stries rouges sur chair fraîche. Le Cauchemar de Dracula de T. Fisher (1 958), révèle une Mina Harker soumise au plaisir de la bête mi-humaine, mi-monstrueuse qui la renifle tel un animal. Parce que la femme est également encline à manifester des pulsions sexuelles fortes, Les Maîtresses de Dracula(1 960), salué par Gilles Deleuze, conduit le philosophe à développer son concept d’image-pulsion. Quelques années plus tard, The Vampire Lovers de Roy Ward Baker (1 970) ou Comtesse Dracula de Peter Sasdy (1 971) avec Ingrid Pitt, jouent sur la même note sadienne-saphique.
Le modèle Hammer finit malheureusement par s’essouffler, l’horreur et le sexe combinés ne sont plus son apanage lorsqu’un autre britannique, lui installé aux États-Unis où il fait carrière, présente un film d’horreur d’un genre nouveau, sans château aux forêts brumeuses, ni vierge effarouchée ou créatures fantastiques. Ce qu’Alfred Hitchcock révèle avec Psychose en 1960 c’est que le monstre peut avoir les traits les plus innocents et surtout qu’il est susceptible de se dissimuler en chacun de nous. Et si le maître du suspense ne sonne pas encore le glas du petit studio anglais, il commence bien à creuser son tombeau. Malgré quelques soubresauts fameux tels One Million Years B.C. avec Raquel Welch en bikini au milieu de dinosaures ou encore La Légende des sept vampires d’or (1 974) de Roy Ward Baker et Chang Chen, avec un Van Helsing surfant sur la vague du Kung fu en un mixte improbable des arts martiaux et des vampires, la Hammer sent le sapin. Son orientation de plus en plus marquée pour les poitrines opulentes dénudées et les tétons qui pointent ne la sauve guère du naufrage annoncé. En 1974, la créature Hammer est à terre. Aussi, les dirigeants du studio font tapis et misent leurs derniers jetons sur un certain Capitaine Kronos, le tueur de vampires de Brian Clemens (1 974), un assemblage hétéroclite qui oscille entre le film horrifique, l’aventure de cape et épée, la romance sensuelle et le western : un ovni sans réelle puissance qui achève de couler le navire Hammer. Le studio s’éteint en 1979. La légende Hammer est cependant bien écrite et Kate Bush peut chanter en 1978 « Hammer Horror/ Won’t leave it alone/The first time in my life//I keep the lights on » sur les ondes du monde entier.
Découvrez la programmation du cycle Hammer sur le site de la Cinémathèque de Toulouse en suivant ce lien.
Un nouveau coffret est disponible sur l’e-shop des éditions Tamasa