Pièce méconnue de Samuel Beckett, Words and Music permet au au compositeur Pedro-Garcia Velasquez,  à l’Ensemble Le Balcon et à Jacques Osinski de livrer un singulier et radical moment musical et théâtral. A voir au Théâtre de l’Athénée jusqu’au 10 octobre. 

Beckett, musicien ? L’idée court depuis que l’auteur d’En attendant Godot a accompli sa profonde révolution du langage en littérature.  Elle se renforça eu égard à la fascination qu’il exerça chez certaines grandes figures de la musique contemporaine. Ainsi de Stravinsky qui alla rencontrer Beckett pour lui dire à quel point il avait été marqué par la « disposition des silences dans Godot », comme le raconte Anne Atika dans ses Souvenirs de Beckett. 

 Words and Music, est présentée aujourd’hui à l’Athénée sous l’impulsion de Jacques Osinski, qui s’est lancé il y a quelques années dans un travail de réhabilitation des œuvres méconnues, ou rarement mises en scène en France, comme La Dernière bande il y a deux ans, qui offrait à Denis Lavant un rôle magnifique ; double de l’auteur vieillissant, il se confrontait à sa voix jeune au travers d’un enregistrement au gré d’un mélange de colère et de tendresse très juste. Words and Music s’avère une pièce bien plus abstraite : écrite en 1961 pour la BBC, elle ne dure que 40 à 50 minutes, et s’articule autour de trois entités, « Paroles »,  « Musique » et Crow, mystérieux personnage avançant sur scène armé d’une masse comme un revenant vengeur de Shakespeare, joué d’ailleurs avec un vrai sens du grotesque par Jean-Claude Frissung, qui lance des thèmes – « l’amour », «  la vieillesse », « le visage »-  dont « Paroles », incarné par Johan Leysen sur scène, s’empare, mais aussi « Musique », dans la fosse. Il s’agit donc d’ébaucher non pas un dialogue, mais une variation entre « paroles » et « musique ». Pour cela, il faut un compositeur qui entre dans le jeu de Beckett. Morton Feldman, proche de Cage et figure de « l’école new-yorkaise », s’ en était emparé en 1987. Aujourd’hui, c’est au tour de Pedro Garcia-Velasquez d’offrir une partition ample, pour cordes et flûtes, à l’ensemble Le Balcon installé dans la fosse. On sait depuis longtemps comme le Balcon ne craint pas de se lancer dans des aventures musicales, donc pas d’étonnement à les retrouver dans cette salle de l’Athénée qu’ils connaissent bien, et qui les a si souvent accueillis. Mais ici, la musique de Garcia-Velasquez, par la chaleur de ses tonalités, permet d’atteindre une ampleur que ne suggérait nullement la pièce de Beckett. Et c’est bien ce contrepoint, entre le dispositif scénique, si dépouillé qu’il en devient drôle, comme en témoignait l’hilarité de mon voisin le soir de première et la musique du compositeur franco-colombien qui fait la valeur de ce court spectacle, plongée radicale dans un certain Beckett à la poursuite de ses propres limites. 

Sur la scène de l’Athénée, nous assistons à la poursuite de cette exploration qu’a menée Beckett dans et hors du langage, et il faut bien penser Words and Music comme une étape de ce long voyage. 

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