En adaptant à la scène Huit heures ne font pas un jour, d’après la série télévisée de Rainer Werner Fassbinder, Julie Deliquet entend restituer cette peinture du quotidien d’une famille de la classe ouvrière qui offre une image printanière de la lutte sociale.

C’est une bouffée d’air frais venue tout droit des années soixante-dix. La découverte pour certains – redécouverte pour d’autres – de la série Huit heures ne font pas un jour, tournée à la suite d’une commande de la WDR (Westdeutscher Rundfunk) par Rainer Werner Fassbinder, révèle le cinéaste sous un jour lumineux qui tranche avec la noirceur de l’ensemble de son œuvre. En cinq épisodes d’une heure trente, on plonge dans la vie d’une famille du milieu ouvrier à Cologne. Or ce qui est extraordinaire, c’est que Fassbinder tout en prenant en compte les contraintes étouffantes de la réalité sociale de l’époque met en scène des héros étonnamment libres et prompts à imaginer des stratagèmes pour faire évoluer leur situation. 

Diffusée en prime time, cette série d’inspiration libertaire, véritable utopie, connut un énorme succès – jusqu’à vingt-cinq millions de téléspectateurs. De quoi agacer les syndicats qui critiquèrent son manque de réalisme. Après avoir adapté au théâtre Fanny et Alexandre d’Ingmar Bergman et Un conte de Noëld’Arnaud Desplechin, Julie Deliquet éprouvait l’envie de se tourner vers une œuvre d’inspiration plus politique. « Je voulais monter quelque chose de plus social. Je pensais à un Emile Zola contemporain, mais en plus subversif. J’avais envie d’une comédie engagée, une œuvre de combat, d’espoir, de fraternité. » 

C’est à ce moment-là qu’elle entend parler de la série de Fassbinder et du projet des éditions de l’Arche d’en publier les dialogues en français à condition qu’un metteur en scène accepte de la créer au théâtre. Passionnée par l’œuvre de Fassbinder dont elle a étudié le théâtre très tôt au Conservatoire d’Asnière, Julie Deliquet se lance alors dans une adaptation pour la scène, qui aura la forme d’un spectacle et non d’une série. Entre-temps, elle est nommée à la tête du théâtre Gérard Philipe à Saint-Denis où elle prend ses fonctions en janvier 2020. « Ce n’était pas prévu au départ, mais il est évident que par son sujet Huit heures ne font pas un jour s’intègre au projet que je défends au sein de ce théâtre. Saint-Denis est une terre ouvrière. Or ce spectacle comme la série de Fassbinder font vraiment écho à l’esprit d’humanité et de solidarité qui règne sur ce territoire. » 

Malgré son décalage évident avec notre époque, ce que retient la metteuse en scène de ce feuilleton, c’est son effet d’entraînement. « Les épisodes ont été tournés très vite. Dans un élan dont on ressent aujourd’hui encore l’enthousiasme communicatif. Les personnages – toutes les générations sont représentées – sont profondément attachants. On sent l’amour que leur porte Fassbinder. Révoltés mais pas violents, ils sont tout le temps dans l’action. Leur prise de conscience passe par les actes. Ils se battent pour avoir mieux. Il y a bien sûr une différence énorme entre la société en pleine expansion du miracle allemand et l’époque actuelle où nous devons répondre dans l’urgence à des problèmes pressants. Mais je crois en l’avenir. Quand une société est perturbée, elle se relève en inventant. Cette série est une fable. Ses héros sont comme des enfants. C’est leur limite et leur force. Parfois leurs projets ratent. Mais ils n’abandonnent pas. C’est aussi la force du collectif. C’est cet élan utopique, cette humanité, cette force que j’ai voulu restituer dans le spectacle. »

Huit heures ne font pas un jour, d’après Rainer Werner Fassbinder, mise en scène Julie Deliquet. Du 29 septembre au 17 octobre au théâtre Gérard Philipe, Saint-Denis (93). Puis en tournée.