Très attendu, l’opéra 7 Deaths of Maria Callas de Marina Abramovic, qui s’est joué à l’Opéra Garnier, ne manquait pas d’idées, mais déçoit par sa froideur.
Art hybride s’il en est, l’opéra est souvent l’objet d’expériences aléatoires. On le tripote, on le malmène, on le retourne comme un gant d’illusionniste, mais toujours il retombe sur ses pattes : preuve qu’il est insubmersible. Le spectacle proposé par l’artiste Marina Abramovic sur la scène de l’opéra Garnier, dans le cadre du Festival d’Automne, est un nouvel exemple de ces expérimentations alchimiques aussi fréquentes qu’hasardeuses.
Connue pour ses performances extrêmes et les défis qu’elle lance à son propre corps (rester assise sans ciller pendant des centaines d’heures, devant des curieux qui viennent la contempler ; pousser sa résistance jusqu’à l’insoutenable) la créatrice serbe a toujours été fascinée par Maria Callas. Outre une certaine parenté physique, les deux femmes partagent un jusqu’auboutisme indéniable dans leur tempérament artistique. Et c’est une forme de clin d’œil théâtral que la plasticienne lance à sa grande aînée.
Nous sommes le 16 septembre 1977. La diva est alitée, dans son appartement de l’avenue Georges Mandel. Il ne lui reste plus que quelques heures à vivre. Comme des spectres, ses sept plus grandes incarnations lyriques vont s’animer, le temps d’un aria : Violetta, Tosca, Desdemone, Butterfly, Camen, Lucia et Norma. Tandis que les chanteuses se succèdent sur le devant de la scène, immobiles, l’opéra se fait cinéma et une sorte de court-métrage illustre de façon métaphorique chaque trépas musical : Tosca se jette d’un gratte-ciel newyorkais, Desdemone est étouffée par un boa, Butterfly irradiée par un nuage atomique etc. Pour ces films, Marina Abramovic incarne la chanteuse-héroïne, face à une figure masculine récurrente, jouée par le comédien William Dafoe. Enfin, on retrouve la chambre parisienne dans laquelle la Callas succombe, avant que les sept cantatrices, vêtues en camériste, ne viennent y passer l’aspirateur…
S’il ne peut contester la virtuosité de l’ensemble, le spectateur quitte le théâtre bien perplexe. Tout cela est astucieusement troussé, impeccablement huilé, mais finalement très artificiel. Comme s’il y manquait ce qui fait l’essence même de l’envoûtement lyrique : l’émotion. Voilà bien la grande absente de cette performance, qui jongle sur les thèmes, les genres, les styles, avec une énergie stérile. Proposer un « best-of » des grandes scènes de Callas était plutôt malin ; mais les malheureuses chanteuses (certaines valeureuses, d’autres plus effacées) sont toutes écrasées par les projections vidéo, dont elles ne restent que les faire-valoir sonores. Quant aux gros-plans de Marina Abramovic, en habit de lumière, chemise de nuit, tenue antiatomique ou dans le plus simple appareil, ils provoquent un certain écœurement. Au vrai, Callas devient le prétexte d’une autocélébration au narcissisme pyramidal. D’autant que la ressemblance physique entre les deux femmes fait long feu : sur dix mètres de hauteur, on songe moins à Maria Callas qu’à Henri Guybet grimé en Pocahontas.
Paradoxe : le seul moment de grâce est celui où l’on diffuse un extrait sonore de La Callas. Mais -coïtus interruptus- il ne dure qu’une minute…. On balance donc entre la frustration d’un spectacle trop autocentré et l’irritation d’un résultat pas assez dérangeant : provocatrice patentée, Maria Abramovic a fait ici œuvre académique !
En un théâtre moins connoté, moins animé par le spectre de cette diva assolutta, 7 deaths of Maria Callas aurait peut-être semblé moins artificiel. Car sous les ors du palais Garnier, ce qui se voulait un spectacle total n’atteint pas les éthers et se brûle au soleil de Callas comme un insecte au petit jour.
Un hommage remuant et flamboyant ? Non, une kermesse kitsch et creuse. Rideau.