Prix Fnac 2014, Benjamin Wood signe dans son premier roman une fable cruelle, dans les ombres de la prestigieuse Cambridge. 

Cambridge est un labyrinthe feutré, sulfureux, coruscant. Dans son ventre chante un orgue entêtant. En son centre trône un minotaure au nom de paradis, Eden Bellwether. Parmi les ombres ce qui le hantent, un outsider, Oscar Lowe, aide-soignant dans une maison de retraite, papillon sans pedigree que la musique attire un soir dans le sanctuaire d’une chapelle. Eden Bellwether, l’organiste virtuose, est à l’instrument. Sa sœur, Iris, le contemple. Oscar tombe simultanément amoureux d’Iris, de la mélopée baroque et du cercle fermé des riches étudiants cambridgiens. Premier point de bascule. D’autres suivront, avec une régularité métronomique. Le récit est construit en contrepoints acérés, partition têtue déployant crescendo une trame aux allures de descente aux enfers. S’y affrontent Bellwether le prodige, insolent de talent, d’esprit et de richesse, effrayant de fanatisme et de cruauté candide, et Lowe, le garçon du peuple, ployant sous les oripeaux du prolétariat, se frottant les yeux pour chasser la poussière des origines, cherchant de bons mots pour conserver l’amour d’une fille de l’autre camp. La lutte des classes, sous la plume de Benjamin Wood, est pasolinienne : ballet charnel, combat livré à même le corps, avec la violence, l’hypnose et la séduction comme armes de poing. La clé du roman repose dans cette citation de John Dryden, dont l’un des personnages se gargarise : « Les grands esprits sont sûrement de proches alliés de la folie, et de minces cloisons les en séparent. » Benjamin Wood dresse et abat les cloisons, déplace les centres de gravité, ouvre des brèches dans le récit par où se coulent des regards inquisiteurs. Qui scrute qui ? Eden, d’expériences en miracles, s’enfonce dans un délire mystique, s’érige en gourou, gagne en dangerosité. Oscar, convoquant la raison, la psychanalyse et la démonstration, se heurte aux forces obscures de la fascination. Le Complexe d’Eden Bellwether est le flacon d’une tragédie mortelle, sécrétant son poison en doses cadencées, jusqu’au bain de sang. Une apothéose.

Le Complexe d’Eden Bellwether, Benjamin Wood, éditions Zulma