Plus baroque que jamais, Jean-Marie Blas de Roblès nous invite au cérémonial de son Rituel des dunes. Romanesque et touchant. 

« Plein d’immense grandeur, rond, vagabond et ferme », c’est le soleil chez Ronsard. Et Jean-Marie Blas de Roblès, lui-même poète, ne nous en voudra pas d’inscrire ce vers au fronton de son Rituel des dunes. Car son livre a quelque chose de la sphère totale de l’astre solaire de l’illustre Vendômois. L’« immense grandeur », c’est celle d’un récit étoilé en une myriade d’histoires, comme autant de rayons d’un soleil narratif. Au centre, il y a Roetgen qui, à Macao, attablé devant une bouteille, se souvient. D’un séjour en Chine et, là-bas, d’une Américaine, Beverly. En équilibre précaire sur le fil de la raison, entre excentricité attirante et crises de violence paranoïaque. Beverly, qui se fixe d’extravagants défis : lire toutes les biographies et autobiographies d’une bibliothèque publique, de A à Z. Beverly qui fut, à l’en croire, clocharde pas très céleste, puis millionnaire, puis, dans un geste de dénuement franciscain, aurait renoncé à sa fortune. Beverly, qui petit-déjeune au whisky, s’absorbe dans la bulle de son walkman quand elle ne prend pas le relais de la narration pour raconter une macabre cérémonie funéraire au Tibet. 

Entrecoupant les amours et les confidences de Roetgen et Beverly dans la Chine, dont Blas de Roblès brosse un portrait satirique, perplexe et pourtant fasciné, il y a d’autres irradiations narratives. Celles du polar dont Roetgen lit les chapitres à Beverly. Lit des chapitres plutôt. Tant Roetgen, et Blas de Roblès avec lui, pratique l’art de la lacune, omettant des épisodes, tissant moins un texte qu’une dentelle d’événements. Où il est question, dans une atmosphère qui se situe quelque part entre BD (Le Lotus bleu n’est pas très loin), romans pulp et réouverture des plaies mal cicatrisées de l’Histoire, de Hugo, parti lui aussi pour la Chine, et se heurtant au passé nazi de son père, mais aussi à une redoutable société secrète… Sans oublier dans la constellation des récits, celui, désopilant sur un certain Lafitte, qui passe une nuit dans un chaudron, dans la Cité impériale. Le Rituel des dunes englobe tous ces récits, comme il englobe tous les temps, du présent de Roetgen à Macao au passé du souvenir, tous les espaces, de la Chine au Brésil. Livre-monde, dirait-on si on ne craignait pas le cliché, ou plutôt livre-sphère (comme le soleil, tiens…), tant tout ici n’en finit pas d’en revenir en boucle à un même noyau. Un noyau incandescent, de pure chaleur : celui de cet épisode – une promenade rituelle sur les sables brésiliens avec un ami, que se rappelle Roetgen – qui donne son titre au livre. Et qui se déroule « à une latitude où nous ne connaissions tout au long de l’année qu’une inaltérable saison chaude. » La chaleur n’est pas seulement celle des conditions climatiques, elle est aussi humaine : ce « rituel des dunes » est un moment, presque sacré, de fusion entre deux amis, « jusqu’à ce qu’il n’y ait plus divergence, mais complémentarité, au plus intime, de nos différences respectives. » Une fusion, si on veut, comme au cœur du soleil. Une fusion avec l’autre, qui est l’idéal amoureux, amical, mais si difficile, qui hante tout le livre…

Le Rituel des dunes, de Jean-Marie Blas de Roblès, Zulma, 288 p., 20€