Après avoir revisité brillamment le film noir avec Diamant noir, Arthur Harari prend des chemins de traverse pour s’attaquer au film de guerre. Ou plutôt au fantôme du film de guerre. Et le résultat est somptueux. Onoda raconte en effet l’histoire vraie de ce soldat japonais, Hiroo Onoda, envoyé sur une île des Philippines juste avant le débarquement américain pour y mener la Guerre Secrète. Le film nous plonge d’emblée dans la jungle et accumule les images déconcertantes d’un homme camouflé sous un costume de feuillages afin de mieux se fondre avec le décor. La caméra se rapproche de son visage, pour nous révéler ses rides et ses angoisses. Onoda est devenu un élément naturel de cette île, il a absorbé la jungle. Aussi aride que lyrique, le film s’écarte de tout ce que l’on connaît, il nous déroute à l’image de l’obsession de cet homme qui tente de mener sa mission envers et contre tout. Lentement, doucement, Harari déploie une mise en scène d’une rare maîtrise, dirigeant avec bonheur des acteurs japonais impeccables de bout en bout. Au cœur de ses ténèbres, l’île de Lustang est fouillée, arpentée dans ses moindres recoins, ses caches, ses replis sont recensés sur une carte et la petite escouade tente de s’approprier ce territoire hostile en le nommant. La question de la survie ne cesse de se poser, ils doivent se protéger, économiser leurs vivres, s’accoutumer à la nature et ses plantes, trouver des lieux de repos à l’abri des pluies diluviennes. La menace plane sans cesse, ils apprennent à construire une hutte aussi rapidement qu’à la démonter en effaçant méticuleusement toute trace de leur passage.
À mesure que ses hommes sont décimés par des paysans, la désertion ou l’absurdité du combat contre les seuls éléments, Onoda s’enferme dans son mirage. Seul le major Taniguchi est capable de le relever de ses fonctions mais la mémoire de celui-ci s’est repliée dans les livres loin de son passé militaire. Onoda est devenu le personnage d’une guerre qui n’existe plus, tout fuit entre ses doigts, surentraîné à étudier la propagande ennemie, il réinterprète à l’envers les signes qui lui sont offerts : son père n’est pas son père, les publicités inscrites dans les journaux sont mensongères. Il refuse la défaite du Japon tout autant qu’il refuse de faire face à la vanité de son combat. Car de combat, il n’y en a pas. Les seuls actes de bravoure de son armée se réduisent à effrayer les paysans à coups de tirs vers les cieux, de récoltes brûlées et de vaches maigres massacrées. Lorsque Onoda croit avoir décodé les signes qui leur ont été envoyés, il se persuade que le messager tant attendu surgira sur la plage. Une nuit, il croit même l’apercevoir pour se rendre compte qu’il n’est qu’une projection de lui-même. Une chimère, à l’image de cette guerre sans fin à laquelle il s’accroche durant trente ans. C’est la rencontre avec un jeune homme qui vient le confronter à son mythe, sa légende, peut-être même lui révéler son statut de fantôme, qui le libère. Le vieil Onoda accepte enfin d’être délivré de ses illusions. Et les larmes coulent, il peut échapper à la jungle, il peut redevenir un homme.
Onoda, Arthur Harari, en salles le 21 juillet, plus d’informations en suivant ce lien.