Le festival d’Aix-en-Provence s’est ouvert avec Les Noces, et se poursuit avec Falstaff. Un Verdi honoré. 

Falstaff est une œuvre sphinx. Qu’au soir de sa vie, le compositeur le plus fêté de son temps, le plus populaire, le plus révéré, décide de changer de ton et de manière laisse forcément songeur. Il est fascinant, ce Verdi octogénaire, dont le monde entier fredonne les grandes mélodies, et qui se lance avec une passion juvénile dans ce qui n’est ni un testament, ni un couronnement, mais une extraordinaire « sortie de route », dont le résultat confine au chef-d’œuvre. C’est avec un soin maniaque, une ferveur d’horloger, que Verdi (et son librettiste Boito) ont concocté cette géniale adaptation de Shakespeare. On parle souvent de mécanique de précision pour cet opéra qui laisse peu de place au hasard, car tout y est pesé, jaugé, mesuré, pensé. Cette perfection n’en est que plus délicate pour les metteurs en scène, lesquels doivent se mouler dans les (admirables) contraintes imposées par Verdi.

Pour ce deuxième spectacle du cru 2021 d’Aix en Provence, le scénographe Barrie Kosky tourne le dos à la tradition d’un Falstaff bedonnant et rougeaud. Son héros n’est pas un obèse paillard et glouton, mais une sorte de Fregoli matois et gastronome. Dans le décor de papier-peint coloré d’une trattoria des années 50, la farce shakespearienne se déploie avec souplesse, mais on garde parfois un sentiment de froideur, de neutralité et -avouons-le- d’un certain ennui. Comme une recette parfaitement réalisée dont le chef semble avoir omis l’épice qui la sublime (voire quelques gouttes d’arôme Maggi pour la « pimper », comme disent les foodista.) Peut-être est-ce dû à un éclairage trop uniforme, qui écrase les contrastes et aplatit l’action, comme si l’œuvre était sous verre ? Ce sentiment s’estompe heureusement au dernier acte, et la fugue finale -irrésistible, géniale- remporte les ovations du public. Mais est-ce le spectacle que l’on loue, ou tout simplement Verdi ? 

À l’inverse des incarnations hénaurmes d’un Bryn Terfel, l’Anglais Christopher Purves est un Falstaff plus complexe, moins latin que saxon. S’il ne possède pas la présence écrasante de ses grands ainés, il est un remarquable comédien et un fin diseur ; un Falstaff de chambre, en somme. 

À ses côtés, le Ford de Stéphane Degout est comme toujours vocalement splendide, avec cette même rigueur formelle un peu sèche qui est celle de tout le spectacle. Le quatuor des commères (Carmen Giannatasio, Daniela Barcellona, Antoinette Dennefeld et la charmante Giulia Semenzato) remplit joyeusement son office, tout comme le Fenton de Juan Francisco Gatell. Une troupe homogène, sans accrocs, qui obéit avec rigueur aux indications du metteur en scène. Bref : tout est en place.

Opéra de chef (comme tous les grands Verdi) Falstaff est un miel pour faire briller un orchestre, jouer sur les contrastes, exalter telle ou telle subtilité, surligner une intention, un trait, une fulgurance. À la tête d’un orchestre de l’Opéra de Lyon en belle forme, le milanais Daniele Rustoni semble heureux et enivré par cette musique, qu’il fouette et caresse comme elle doit l’être. Il mène sa barque tambour battant, avec une joie éruptive, faisant du vieux Giuseppe le vrai gagnant de la soirée. Viva Verdi !  

 Falstaff, Verdi, direction musicale Daniele Rustioni, mise en scène Barrie Kosky, avec Christopher Purves, Stéphane Degout…Festival d’Aix-en-Provence, théâtre de l’Archevêché, jusqu’au 13 juillet.