Le moment est à l’euphorie : l’été arrive, l’épidémie fléchit dans notre pays, les lieux culturels ouvrent enfin leur porte, le public s’y rue, les artistes se félicitent de le retrouver, on se prépare pour les grands festivals de juillet…Benzema est de retour en équipe de France… bref, est-ce vraiment le moment de faire la fine bouche – sans passer pour le plus snob, le plus poseur et le plus blasé des peine-à-jouir – devant la sélection du prochain Festival de Cannes ?
Peut-être pas… mais, comprenez-moi, j’en en ai tant rêvé de cette sélection ! Depuis des mois, on se représentait une multitude de grands films s’entassant dans les bureaux des distributeurs ; on s’imaginait, surtout, la fièvre créatrice poussant les artistes à tourner coûte que coûte, malgré des lendemains incertains, malgré de protocoles sanitaires hypercontraignants ; on se figurait, aux quatre coins du monde, des cinéastes intrépides – harcelés par le spectacle de la mort omniprésente et par le spectre d’économies menacées de s’écrouler – luttant avec l’ange pour forcer l’art cinématographique à se renouveler afin de cartographier cette terra incognita, qu’est désormais, pour nous, notre monde. Et, au bout du compte, au bout de nos attentes, au bout de nos espoirs, qu’est-ce qu’on nous sert ? Un nouveau Audiard, un nouveau Ozon, un nouveau Corsini, un nouveau Farhadi, un nouveau Sean Penn. Seriously ? Tout ça pour ça ?
La crise sanitaire n’aurait donc eu pour effet que de pérenniser ce que le septième art a de plus ronflant, de plus tape-à-l’œil, de plus roublard, de plus épuisé enfin ? Nous ne pouvons y croire… C’est pourtant l’image d’un art pétrifié dans de vieilles recettes que semble avoir voulu nous présenter les sélectionneurs du Festival de Cannes. Comment expliquer sinon la présence des réalisateurs susmentionnés ? Comment expliquer la présence de cette ribambelle de signatures, certes parfois talentueuses (Trier, Kurzel, Kuosmanen, Hansen-Love, Sean Baker), mais tout de même connues pour le caractère poli, lisse et relativement consensuel de leurs productions ?
Mais soyons justes : il y a des promesses de beaux et grands films dans cette sélection. Pour notre part, nous attendons avec impatience les films de Wes Anderson, de Mahamat-Saleh Haroun, de Paul Verhoeven, de Kirill Serebrennikov, de Joachim Lafosse, de Nabil Ayouch, de Nanni Moretti. Mais de ce Cannes, il faut le reconnaître, on espérait plus, on espérait des films éblouissants, on espérait des films qui « fendraient la mer gelée en nous », on espérait des vents nouveaux, on espérait une promesse: la promesse d’un art capable de se réinventer. D’ou viendra-t-elle ? D’où surgira l’inattendu, le nouveau, l’inouï ? De Carax ? De Weesarethakul ? De Dumont ? C’est possible. D’Hamaguchi, d’Enyedi, de Lapid ? Nous l’espérons. Nous le saurons en juillet.
Pour l’instant, force est de constater que nous sommes un brin refroidis par le sentiment d’un Cannes qui ne prend pas de risques. Pas ceux, en tout cas, qu’exigeraient le moment historique que nous traversons et les nouveaux défis (concurrence des plateformes, vieillissement du public, etc.,) que le septième art doit affronter.