Ecrin somptueux, mais pas tapageur, pour la donation d’une quarantaine d’œuvres d’arts premiers de Marc Ladreit de Lacharrière, la galerie qui porte son nom vient d’ouvrir à Branly. Visite rêveuse.

Figure de proue ou vigie, du haut de cette galerie qui, comme une nacelle surplombe les grands volumes du musée Branly, une statue veille. A moins, hasardé-je, qu’il ne s’agisse d’un écho africain et anachronique à Pascal Quignard et au plongeur de Paestum ? Yves Le Fur, directeur du patrimoine et des collections, acquiesce en souriant. La collection Marc Ladreit de Lacharrière, conçue, m’explique-t-il, comme un « salon » imaginaire, où se perdre dans d’infinies rêveries face à 38 œuvres marquantes des « arts lointains », comme disait Fénéon, invite à voir au-delà des objets. A capter ce qui en émane, comme des effluves. Qui se matérialisent (mais il faudrait un verbe plus délicat) dans les extraordinaires vitrines conçues par Jean Nouvel, qui, tantôt lointaines cousines de la Sainte Ampoule, tantôt étranges animaux marins, épousent, dans leurs galbes, leurs resserrements et leurs renflements, cette « aura » qui entoure des pièces « chargées ». Des pièces qui, au-delà de leurs qualités esthétiques, comme cette statue protectrice nkishi, avec sa bouche ouverte, son ventre scellé par un morceau de boîte de conserve, rentrent dans le champ de forces de l’invisible. 

Ces mêmes forces sont-elles celles qui ont dicté à Marc Ladreit de Lacharrière ses « coups de cœur », ainsi les baptise Yves Le Fur ? C’est en tout ce cas cette électricité spontanée du coup de foudre qui a présidé au rassemblement de cette collection, majoritairement africaine, sans exclusive culturelle, et qui peut produire d’impressionnants quartiers de noblesse. Entendez par là que certains des acquéreurs précédents ont nom par exemple Paul Guillaume, cheville ouvrière de l’intérêt occidental pour les « arts lointains ». Les coulisses de la création et de la conception de la galerie sont un petit cas d’école muséographique : comment respecter cette atmosphère intime, propice aux vagabondages de la pensée qui est celle d’un intérieur de collectionneur, sans pour autant en rabattre sur la rigueur et l’exigence scientifiques ? Les bancs, qui sont moins là pour soulager les jambes épuisées que pour inviter à l’immobilité de la contemplation, à la familiarité (mais pas aux privautés) avec les œuvres remplissent la première partie du programme. Un jeu soigné de QR codes assure l’omniprésence, comme une aura érudite, invisible, de tout le bagage d’informations dont Branly est coutumier.Et s’il est vrai qu’il se dégage des choses dans la nature un « esprit, une sorte de vapeur subtile », pour parler comme Flaubert, il en va de même des œuvres d’art. Est-ce le Beau, si élusif mais si reconnaissable, qui frappe dans ce merveilleux gardien de reliquaire eyema-byeri ? Ou est-ce cette « patine suintante », comme la décrit Yves Le Fur, et qui me fait penser à certaines statues pieuses, mariales et pleurantes ? Est-ce simplement qu’il s’agit d’un chef-d’œuvre des « arts lointains », comme cette statue féminine allaitante, de la population Sénoufo, qui a contribué à façonner la sensibilité des amateurs – et que toute cette histoire du goût, de l’art, est perceptible ? Ou est-ce la patte d’un auteur, d’un maître – comme on parle des maîtres anonymes de nos retables, de nos portraits de saints – comme le maître de Warua, qu’on discerne sur un splendide porte-flèche ?

Plus d’infos : https://collection-lacharriere.quaibranly.fr/fr/