Silence de Masahiro Shinoda est un grand film sur le doute qui inspira Scorsese. Carlotta sort le DVD ces jours-ci.

De la fin des années cinquante au milieu des années soixante, le Japon lui aussi connut sa Nouvelle Vague. A la différence de la nôtre, celle-ci ne s’organisa pas autour d’une revue ou d’une théorie du cinéma mais, bien plutôt, autour d’un regard iconoclaste et corrosif sur la société et les mythologies nippones. Ce fut l’époque des grands films de Nagisa Oshima, de Shohei Imamura, de Seijun Suzuki, de Koji Wakamatsu et de Masahiro Shinoda. Après une flopée de premiers films en prise avec l’âpre réalité du Japon contemporain (Un aller simple pour l’amour, Le Lac asséché, Mon visage embrasé au soleil couchant), ce dernier développa peu à peu un style coloré et raffiné grâce auquel il renouvella le jidai -geki (genre consacré à l’histoire féodale) en s’éloignant des traditionnelles représentations hiératiques des hauts faits des samouraïs. Puis, en 1971, il réalisa Silence, une œuvre inclassable, sélectionné en compétition officielle au festival de Cannes, dont Scorsese signa un remake en 2016. 

Le film raconte l’histoire de deux prêtres jésuites qui, au XVIIe siècle, arrivent au Japon à un moment où le christianisme y est interdit et sévèrement réprimé. Ces missionnaires espèrent rassembler les Japonais croyants pour poursuivre l’évangélisation de l’archipel. Mais vite ils sont rattrapés et persécutés par les autorités shintoistes. L’un, le père Garrpe, trouve la mort quand l’autre, le père Rodrigues, se voit contraint d’abjurer sa foi. Ce qui fascine dans Silence c’est que, contrairement à de nombreux films qui représentent le martyre religieux, la mise en scène ne tend pas vers le grandiose et le pathétique. Sans doute parce que Shinoda pose ici une question de fond, une question passionnante : est-ce qu’une religion s’exporte ? Un discours universaliste vaut-il sur toute la surface de la terre ? Ou, mieux encore, est-ce que la vérité est vraie partout ? Et s’en convaincre ne risque-t-il pas de conduire au péché capital qu’est l’orgueil? S’en persuader ne mène-t-il pas à se confronter au silence de Dieu ? 

Mais ce n’est pas seulement au silence divin que se heurte le père Rodrigues, c’est aussi au silence d’un pays, au silence d’une terre. On est peu à peu gagné par le sentiment que ce sont les paysages eux-mêmes – le vert éclatant des rizières, le bleu scintillant de la mer, le dessin déchiqueté des reliefs côtiers – qui sont rétifs à accueillir la parole chrétienne. D’autant que la bande-son du film fait une large place aux bruits de la nature. Le souffle du vent, les rugissements de l’océan, le chant des oiseaux : autant de chuchotements et de clameurs qui, mixés avec la partition dissonante de Toru Takemitsu, condamnent le message des pères jésuites à se dissoudre dans un infini taciturne. De sorte que c’est le silence du monde qui, plus que tous les supplices, semble lentement accompagner le père Rodrigues vers la tentation de l’apostasie, puis vers l’apostasie elle-même. Une abjuration et une abdication filmées – et ce n’est pas le moindre des paradoxes de ce film puissant et énigmatique – comme une paix spirituelle enfin trouvée. 

Silence de Masahiro Shinoda, avec David Lampson, Don Kenny, Tetsuro Tamba… Carlotta

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