Une très belle expo, en ligne, autour de quatre œuvres récemment entrées au MuMa. Voyage hivernal dans un fauteuil au Havre.

Est-ce parce que c’est renfermé chez nous, comme dans une bulle tapissée de liège dont les seules trouées seraient virtuelles, modernes équivalents des livres d’art que compulsait Proust, qu’on pense, justement, irrésistiblement, au célèbre asthmatique alors qu’on chemine, en 3D et à coups d’effleurements sur notre clavier, dans la version numérique de l’expo du MuMa, Voyages d’hiver ? Est-ce parce que, au nombre du quatuor d’œuvres tout juste entrées dans les collections du sanctuaire havrais de la peinture et qui sont les points cardinaux de l’expo, figure un Dufy du tout début du siècle dernier, dont le titre – Le Clocher de l’église d’Harfleur – semble se rencontrer, au point de les cristalliser, avec les obsessions de la Recherche ? Mais, sans doute, si on invoque Proust, au-delà du clin d’œil qu’adresse le MuMa normand à Balbec, imaginaire mais tout aussi normande, c’est qu’on se souvient de la leçon d’Elstir : que la peinture est d’abord un jeu de métaphores. D’échanges de qualités entre les éléments du paysage, de conversion de ces mêmes éléments les uns dans les autres.

Ce qui semble, au reste, dicter le parti de l’exposition. Puisque autour des quatre toiles nouvelles venues – le Dufy, donc, un Marquet, un petit Renoir et un Charles Guilloux – gravitent comme autant de satellites une sélection d’œuvres du MuMa. Et nous voilà à tirer des lignes entre les unes et les autres, à relier, comme sur une carte du ciel, des constellations, à rapprocher par exemple La Dame (1952) de Henri-Georges Adam, avec ses allures d’idole antique très lointainement anthropomorphe, ses incrustations sombres, ses déliés géométriques, son saupoudrage de petites étoiles, d’Herblay. Automne. Le Remorqueur (1919) d’Albert Marquet. Peinture fluide par excellence que cette vue de la Seine, et pas uniquement en raison de son sujet fluvial. La verrerie du plan d’eau, comme discrètement teinte dans la masse de bleu laiteux tout juste rosé de lumière ; le massif arboré sur la droite qui commence à se diluer dans les ondulations de son reflet ; et, fermant le champ, mais appartenant aussi bien au fleuve qu’au ciel auquel le rattache un panache de fumée, ce qui est moins une embarcation qu’une touche sombre, moins un remorqueur qu’une archive gestuelle de l’acte de peindre : tout le tableau n’est que glissements, passage d’un état à un autre. Comme on glisse sur la Seine, paisiblement, un peu mélancoliquement, au rythme de la respiration de la vapeur. 

Métaphore toujours avec ce petit Renoir, pièce détachée d’une toile plus vaste, et qui accote un visage d’enfant et une pomme : la courbe pleine du fruit et des joues se répondent, bien sûr, mais aussi, plus souterrainement, et de façon inversée, la charge mythique portée par l’aliment du péché originel et l’aura d’innocence qui enveloppe la tête poupine aux cheveux de paille. Et que dire de Charles Guilloux, peintre pour lequel l’expression « à redécouvrir en urgence » semble avoir été inventée, de son tropisme symboliste, de ce nimbe de romantisme germanique – la nuit, la lune, une route, une ruine – qui entoure son tableau ? Il pousse les jeux de l’analogie, de la métaphore, du symbole, comme on voudra, jusqu’à leur limite : là où le visible suggère l’invisible, sa présence quasi magnétique.

Exposition Voyage d’hiver. Regards sur les collections du MuMa, MuMa, jusqu’au 18 avril

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Visuel d’ouverture: Albert MARQUET (1875-1947), Herblay. Automne. Le Remorqueur, 1919, huile sur carton entoilé, 33 x 41 cm. Le Havre, musée d’art moderne André Malraux, donation famille Siegfried, 2020. © MuMa Le Havre / Charles Maslard