La metteure en scène Catherine Marnas, à la tête du TNBA de Bordeaux, nous livre son sentiment, alors même que les théâtres demeurent fermés. Cet hiver, elle s’apprête à présenter A Bright Room called Day de Tony Kushner. 

Comment vivez-vous cette période si difficile pour le théâtre ? 

Nous sommes tous dans un sentiment de colère, d’injustice, de mépris. Je citerais Sénèque, « prenez garde à la colère d’un homme patient ». Nous avons été sages, respectueux, des protocoles, des changements de jauge, des précautions, attention donc à la colère qui en découle. Mais j’ai la chance d’être dans un CDN où j’ai mis la transmission au cœur, et, indépendamment de notre école qui continue à fonctionner, j’ai la chance de voir les élèves travailler Claudel avec Dominique Reymond, il y a aussi un grand nombre de compagnons, et de compagnonnes, qui forment un collectif, comme une troupe. C’est-à-dire que dès le premier confinement, on a pu mettre en commun nos sentiments et nos réponses. Et puis on a la chance de pouvoir continuer à travailler, par exemple Aurélie Van Den Daele répète chez nous son prochain spectacle. Elle a aussi peint la banderole qui vient d’être posée ce matin, « théâtre bâillonné ». C’est une force, la présence de ces artistes au théâtre, nous devons renforcer l’idée d’une maison théâtrale. 

Pour vous citer d’autres exemples de nos activités actuelles, des artistes de Bordeaux et des artistes du CDN de Tours préparent une opération d’agit-prop, ils vont jouer demain (19 décembre) le dernier acte du Tartuffe dans différents supermarchés, temples de consommation, ça va être filmé et diffusé sur les réseaux…Il faut que notre colère soit visible. 

Croyez-vous à un traumatisme durable pour le monde du théâtre ? 

Oui. Notre monde du théâtre avait mis beaucoup d’espoir dans la personnalité de Roselyne Bachelot, nous pensions qu’il y avait enfin à la culture quelqu’un qui aimait la scène et la défendrait, nous nous sommes trompés. Se posent désormais les questions des priorités du monde dans lequel on veut vivre. On a tous aussi en mémoire les mots du président qui au début de la pandémie disait qu’il fallait changer notre mode de vie, renforcer notre attention aux métiers défavorisés, qu’il fallait mettre en valeur le monde de la culture, qu’il y avait là un enrichissement personnel, et aujourd’hui tout cela semble bien loin. 

Juste avant le premier confinement, vous présentiez A Bright room called Day, de Tony Kushner qui amorce une tournée en ce début d’année… Dans quelle mesure cette pièce nous parle-t-elle du monde d’aujourd’hui ?

Oui, je l’ai retravaillée et elle devrait se jouer à Reims, dès janvier. C’est une pièce sur la fragilité des démocraties, en croisant la République de Weimar, la deuxième élection de Reagan et l’arrivée de Trump. Je suis toujours angoissée par les glissements, on se déplace d’un pas, puis d’un autre, ça n’a l’air pas si grave, mais c’est ainsi que les démocraties s’abîment. Kushner montre comment la deuxième élection de Reagan, avec la liquidation des droits sociaux a préparé le lit d’un système aussi absurde que celui qui a élu Donald Trump. Tout ça se fait par des parcours, par des personnages qui sont réels, et qui ne sont pas des porte-pensées. Et l’on revoit comme la peur est le plus sûr moyen de tétaniser les démocraties. 

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