Wu Tsang claque

L’artiste américaine Wu Tsang confirme, si besoin était, que l’art peut être politique, et même ultra-politique, sans renier sa complexité ni sa beauté.

Wu Tsang, "The show is over" (2020), Produced by Schauspielhaus Zürich, Co-Commissioned by Lafayette Anticipations. Courtesy of the artist and Galerie Isabella Bortolozzi , Berlin

Alors que l’actu est en surchauffe, que les raisons de faire entendre sa voix, ses indignations, ses espoirs ne manquent hélas pas, l’Américaine Wu Tsang déclare tout de go, dans l’antichambre de l’expo qu’elle a conçue comme un dédale d’images mobiles, de sons et de matières pour Lafayette Anticipations : « je n’aime pas réagir aux événements. » Sa façon à elle d’être politique – et l’artiste trans, dont les films brassent, éprouvent et remettent en cause toutes les lignes de démarcation, genres, sexe, inégalités raciales, est politique, ô combien ! – c’est de s’inscrire dans la « continuité historique ».

Voilà The Show Is Over, clef de voûte de l’expo, installation vidéo nappée de chromatismes raffinés, velouté bleu-nuit vaporeux comme la fumée d’un club de jazz ou palette terrienne de gris et de glèbe détrempée. Des danseurs évoluent, moins immergés que pris dans ces teintes, comme dans une pâte primordiale ou les voiles de draperies, mais aussi dans les mots d’un texte de Fred Moten – philosophe, poète, penseur de la « blackness » – et dans la musique. La Terre comme continuum indistinct, de matières et d’êtres vivants ; la musique, ce vecteur des luttes black ; le corps des danseurs, à la fois individuel et collectif : ce ne sont pas des « événements » singuliers que capte Wu Tsang, mais les grandes lignes de force, presque abstraites et pourtant terriblement concrètes, qui traversent toutes les histoires de lutte, toutes les convulsions qui accouchent d’une communauté ou la détruisent.

Plus loin, une vidéo ressuscite James Baldwin via une interview télé où l’auteur de Si Beale Street pouvait parler ressuscite à son tour son enfance. Là, Wu Tsang fait sienne la technique du vitrail, avec le colossal Sustained Glass, à la fois gracile et imposant comme l’œuvre d’un maître médiéval baignée de la lumière bleue et froide de la façade nord d’une cathédrale. Wu Tsang, hyper-contemporaine, n’est jamais amnésique. Car elle sait, comme Faulkner, « que le passé n’est jamais mort. Il n’est même pas passé. » Et son énergie, celle de la colère ou de la créativité des générations d’avant, persiste encore aujourd’hui. Il suffit de savoir la capter.

Expo Wu Tsang, Visionary Company, du 7 janvier au 28 février, Lafayette Anticipations

Retrouvez en ligne le mixtape de la DJ Asmara.

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