viceAdam McKay a fait peau neuve avec The Big Short (2015), film sur la crise des subprimes, et poursuit désormais sa mutation avec Vice, revenant sur l’ascension politique de Dick Cheney. Il greffe sur le biopic, genre pontifiant par excellence, son comique féroce, sa lucidité politique et son sens de la narration virtuose. Ce qui confère à son récit, couvrant plus de quarante ans de vie politique, un rythme tonifiant. Cheney y voit les présidents américains se succéder à la chaîne alors que lui-même gravit, l’air de rien, les échelons jusqu’à s’installer à la vice-présidence en 2001. Et pourtant, ce n’était pas couru d’avance : étudiant médiocre, c’est, comme Bush, un ivrogne repenti peu disposé au costume-cravate. Le film est donc aussi l’histoire d’une mutation, celle d’un loser alcoolique devenu l’homme-le-plus-puissant-du-monde. Ou comment un ennuyeux et fidèle politicien, sans convictions, est devenu ce monstre froid qui a manipulé le monde entier (la fake news des armes de destruction massive en Irak, c’est lui). 

La mutation s’incarne physiquement à travers Christian Bale, dont on suit pas à pas la sénescence : bedaine qui s’arrondit, perte progressive des cheveux, grain de peau de plus en plus piqueté, rides qui creusent les joues et allongent le front… McKay ausculte sa décrépitude ou plutôt sa momification. Avec son allure flegmatique et son charisme retors de vieil apparatchik, Cheney pourrait être un lointain cousin du John du Pont que jouait Steve Carell dans Foxcatcher (présent ici dans le rôle du mentor Donald Rumsfeld). Mais si Carell, sorte de vautour fatigué, y apparaît perclus et éreinté, Cheney, lui, s’allonge et se gonfle à mesure que passent les décennies, ressemblant en fin de parcours à un vieux varan immobile qui ne se mettrait en branle qu’au moment où l’on s’y attend le moins. 

À l’image du premier bureau de Cheney, si étroit qu’il ne peut même pas se balancer sur son siège (gag bien vu), l’intrigue se resserre au maximum, notamment sur le couple qu’il forme avec Lynne (Amy Adams en portrait craché d’Hillary Clinton), sa femme responsable de sa mue. Et au gré d’un montage ludique, offrant de savoureux moments de répit (les apartés du narrateur, les discussions dans le boudoir, Bush qui confère les pleins pouvoirs entre deux chicken wings…) mais n’échappant pas au storytelling, l’ensemble s’articule autour du 11 septembre, dont Cheney va tirer un funeste bénéfice. Des choix qui nous conduisent jusqu’à aujourd’hui, à la déstabilisation du Moyen-Orient, à l’Etat islamique comme corollaire et à Trump (une vieille photo le montre couvert de billets comme après un casse). Alors que le monde entier va entrer dans une gueule de bois durable, il est plutôt ironique que ce lendemain difficile ait été piloté par deux anciens alcooliques.